Visite du dimanche 6 octobre 2013
L’église de Trensacq est l’une des plus visibles de Landes ; située sur l’un des deux axes routiers principaux qui relient Bordeaux à Mont-de-Marsan ‒ l’ancienne route nationale 134, actuelle route départementale 834 – elle est la cause de deux virages successifs et d’une inévitable baisse de vitesse qui restent à l’esprit. Pourtant, son aspect extérieur ne retient guère l’attention et n’incite pas particulièrement à s’arrêter pour la visiter.
L’église est ancienne ; mentionnée dans le Liber rubeus de Dax sous le nom de Sanctus Martinus de Tronzag, elle existe donc au moins depuis le xiie siècle, sous l’un des vocables les plus anciens et les plus répandus. Les sources documentaires, presque totalement lacunaires pour la suite jusqu’au xixe siècle, obligent à se contenter d’analyser son architecture. Jusqu’à la Révolution, la paroisse était à la limite de deux diocèses. Alors qu’elle faisait partie de celui de Dax, dans l’archiprêtré de Lescanaux dont le siège était à Labouheyre, l’église de Pissos, la première au nord, dépendait de Bazas. L’histoire de Trensacq paraît avoir souvent été en relation avec celle de Commensacq, au moins pour l’époque moderne où elles ont souvent partagé le même curé – en 1789 c’est Commensacq qui était annexe de Trensacq.
Jusqu’au xixe siècle l’église, entourée de son cimetière, fermé à l’ouest, par un bâtiment à usage public et lui-même bordé de petites pièces de terre, était comme un îlot que contournaient quatre routes ou chemins – vers Pissos, Sore et Luxey, Sabres, Commensacq ; à la différence d’aujourd’hui, l’itinéraire nord-sud passait à l’est avec un moindre infléchissement ; la croix du Bacqué – du nom de la terre au sud de l’église – suffisamment importante pour être représentée sur le plan du cadastre, marquait le sud-est de cet îlot, à l’intersection des routes de Pissos et de Commensacq. Moins d’une dizaine de constructions étaient disséminées aux abords, comme le plus souvent dans la Grande Lande.
Le bâtiment est orienté. Si son mur pignon ouest, formant clocher accessible par une tourelle d’escalier extérieure, rappelle bien d’autres églises de la Lande – Sabres, Moustey, l’ancienne église de Labrit, etc. -, actuellement précédé d’un porche néo-gothique, le toit à deux versants qui couvre la totalité empêche de deviner la disposition intérieure.
La partie la plus ancienne est, comme le plus souvent, le chœur ; l’abside semi-circulaire voûtée en cul de four et la travée droite couverte d’un berceau brisé qui la précède, toutes deux munies de contreforts, peuvent remonter à la fin du XIIe siècle ; l’abside présente une unique baie cintrée, axiale, probablement agrandie à l’époque moderne. Il est très possible que la nef, de même largeur que le chœur, ait, dans un premier temps, été seulement couverte d’une charpente. Le mur ouest, deux fois plus épais que les autres pour remplir sa fonction de clocher, présente en façade deux contreforts qui supportent un arc cintré, base d’une petite pièce pour le maniement des cloches – du côté oriental un élargissement équivalent est supporté par l’exhaussement des murs de la nef ; deux seules baies pour des cloches se superposent.
L’église a par la suite été agrandie par un collatéral sud ; nef et collatéral, sensiblement de même hauteur, présentent deux travées d’égale longueur et communiquent par de grandes arcades reposant sur de piles circulaires ; l’une et l’autre sont voûtées sur croisées d’ogives aux arêtes en pierre et voûtains de briques ; des contreforts sont construits au sud et au nord, où ils ont disparu ; les caractéristiques de ces voûtes – absence de chapiteau, nervures qui se fondent dans les supports ou reposent sur de petits culots, celui de l’angle sud-ouest présentant le seul décor sculpté, un visage lunaire – font dater ces travaux de la fin du XVe ou du début du XVIe siècle. Une chapelle de plan carré, également sous croisée d’ogives, prolonge le collatéral à l’est ; elle aussi est largement ouverte sur la travée droite du chœur. Des baies ogivales à meneau central éclairent l’édifice, trois au sud, dans le collatéral et la chapelle – elles subsistent toujours -, deux au nord, dans la travée droite du chœur et la travée de nef suivante, disparues au XIXe siècle. À l’ouest, l’arc surbaissé de la porte indique plutôt un remaniement du XVIe siècle et la date assez maladroitement gravée dessus – 1743 – pourrait correspondre à la pose des vantaux sculptés. Une sacristie est aménagée plus tardivement contre la chapelle sud et l’abside, masquant en partie celle-ci.
À la différence de la plupart des églises landaises aux xive ou xve, on ne trouve nulle part le moindre aménagement défensif, tel que fentes de tir, surélévation de tout ou partie des murs, etc., et il n’en est pas non plus mentionné au xixe. Par ailleurs, l’accès à la tourelle d’escalier se fait à l’extérieur de l’édifice, ce qui n’est guère compatible avec des parties hautes fortifiées. De tels aménagements ont pu disparaître lors de la construction du collatéral et des voûtes, mais c’est aussi l’enceinte du cimetière, disparue, qui a pu tenir lieu de défense.
La première moitié du XVIe siècle voit seulement la réalisation de différents travaux de maintien en l’état, avec la reconstruction d’un porche qui existait déjà à l’ouest. Avant 1868, la tourelle d’escalier était couverte d’un toit en impériale, légèrement bombé, surmonté d’un lanterneau à six ou huit pans percés de petites ouvertures, lui-même couvert d’une flèche en charpente, une couverture dans l’esprit du XVIIIe, mais peut-être due à une réfection de 1816. C’est en 1868-1870 que, pour agrandir l’église, d’importants travaux sont menés à bien par l’architecte diocésain, Hippolyte Durand, élève du grand architecte parisien Léon Vaudoyer et auteur des églises de Tartas (1849-1854) et Peyrehorade (1852-1857), également intervenu à Sabres, entre autres édifices landais.
Il intervient dans un esprit « archéologique », c’est à dire qu’il préserve l’esprit gothique de l’église, en l’accentuant. Au nord, un second collatéral, prolongé par une chapelle de plan carré et une seconde sacristie, rend l’église symétrique.
À l’intérieur, l’architecte a recours à un dispositif inattendu ; pour réunir nef et collatéraux, au lieu de répéter les grandes arcades qui existaient, il les subdivise par des « sous-arcs portés par des colonnes – ce seront en fait des piliers -» et obtient « cinq travées au lieu des trois » – il prend en compte la travée de chœur -, cela « afin de donner plus de solidité aux constructions à conserver et des proportions moins lâches à l’ensemble eu égard aux dimensions de l’édifice».
À une date sans doute postérieure, un décor peint, très homogène et recherché rehausse l’architecture. Il est assez bien conservé ; son auteur n’est pas connu actuellement.
D’une manière significative, ce décor se simplifie au fur et à mesure que l’on s’éloigne de l’abside, seul endroit où sont représentées des scènes figurées – la charité de saint Martin et une rare représentation d’un miracle de saint Eutrope, l’arbre coupé par des bourreaux afin de l’écraser, mais retombant sur eux -, jusqu’aux murs des collatéraux au simple décor de faux appareil.
Dans les quadrilobes créés par Durant pour occuper l’espace au-dessus des « sous-arcs », quatre inscriptions tirées des évangiles sont peintes sur des phylactères, et disposées comme en des répons : dans la première travée à partir du chœur, du côté sud, Tu es Christus filius Dei vivi – « Tu es le Christ, fils du Dieu vivant » -, face à Ego sum via, veritas et vita – « Je suis le chemin, la vérité et la vie », puis, dans la seconde travée, au sud, Domus mea domus orationis vocabitur – « Ma maison sera appelée maison de prière » – en face de Domini dilexi decorem domus tuæ – « Seigneur, j’ai honoré la beauté de ta maison ».
Du mobilier qui existait avant la Révolution – un acte notarié de 1688 indique la confection d’un retable par Pierre du Bayle, « esculpteur » à Tartas, et sa dorure, ainsi que celle de six chandeliers et d’une partie du décor du chœur, par Guillaume Launet, doreur à Tartas, sur le modèle du retable de Commensacq – ne subsistent que les vantaux de la porte d’entrée. Ils sont sur le modèle bien connu dans plusieurs églises landaises, à Mont-de-Marsan et alentours, mais aussi plus près, comme à Saint-Martin de Moustey : deux bas-reliefs occupent la partie principale – ici le plus haut des quatre registres – et rappellent les principales dévotions locales : ici, à gauche le saint patron, Martin, en guerrier romain sur son cheval – personnage principal de la scène la plus fameuse, le partage du manteau -, à droite la Vierge de l’Annonciation, mais sans l’archange Gabriel ; la facture est très simple et l’état de conservation médiocre. Il faut remarquer que deux bas-reliefs similaires, extrêmement mutilés, existent dans l’église de Commensacq, en réemploi au bas de la porte sud où ils continuent de se dégrader. Ces deux exemples montrent un parallèle entre les aménagements mobiliers des deux églises aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Le siège du célébrant peut dater de la toute fin du XVIIIe comme du début du siècle suivant. Trois bancs à accoudoirs, sans doute de fabrication locale, du début du XIXe sont dignes d’intérêt. Mais l’essentiel du mobilier qui subsiste remonte aux années 1870-1871 ; de série, il est très bien documenté en raison de la très forte controverse qui a opposé le curé Castaignède à la municipalité en 1870-1871, sur fond d’opposition postérieure à la chute de l’Empire ; il a été conservé, à l’exception des trois tables de communion et de la chaire, ingénieusement réemployée pour devenir autel face au peuple, et chandelier pascal.
Jacques Pons