SABRES, Église SAINT-MICHEL

Visite du dimanche 6 octobre 2013

Église SAINT-MICHEL DE SABRES

Une église Saint-Michel existait à Sabres au XIe siècle, quand Guy-Geoffroy, duc d’Aquitaine, offrit les 10 sols de sa dîme à l’abbaye de Maillezais, en Vendée. Au bord du ruisseau de l’Escamat, des platanes et une construction du XIXe siècle cachent en partie la nef et le chœur gothiques, agrandis vers l’ouest  au XVIe siècle par le clocher mur, véritable tour de guet percée de cinq baies.

Une église construite en plusieurs étapes

L’abbé Meyranx (1834-1918) pensait avoir vu des traces au sol de l’édifice roman, lors de travaux, en 1868 ; mais les ravages du temps et des guerres féodales ont eu raison de cette église primitive, que l’évêque de Dax avait visitée au XIIe siècle.

Plan ancien
Plan ancien

Des plans d’état des lieux établis en 1859 par l’architecte Hippolyte Durand (1807-1882) – ami de Jean-François Pédegert (1809-1889), curé à Sabres en 1853 -, qui avait été chargé de réaliser un agrandissement rendu nécessaire par l’accroissement de la population, montrent l’édifice tel qu’il se présentait à cette époque.

Une abside à cinq pans flanquée au nord d’une chapelle, au sud d’une sacristie, ouvrait par un grand arc triomphal sur une nef de deux travées, prolongée par un porche où l’assemblée pouvait se réunir après la messe ; une petite chapelle de deux travées était accolée à une partie du mur sud de la seconde travée de la nef, avec laquelle elle communiquait par deux arcades inégales.

La nef est fermée à l’ouest par un mur massif renforcé sur sa façade par une haute arcade, sous laquelle a été ménagé le portail d’entrée. Au-dessus a été élevé un clocher mur à deux étages, percé de cinq baies pour les cloches et accosté au sud d’un pinacle, au nord d’une tourelle prolongeant l’escalier qui monte à l’intérieur du mur.

Plan actuel
Plan actuel

Chœur et nef apparaissent éclairés par des fenêtre ogivales à remplage flamboyant. Le chœur est couvert d’une voûte en étoile, la nef de voûtes d’ogives avec liernes et tiercerons. Mais curieusement, l’architecte a commis plusieurs erreurs dans ces représentations : ainsi, la chapelle nord, dite Depart, puis Saint-Roch apparaît couverte d’une voûte d’ogives simples, alors que cette voûte est divisée en octogones par des lobes à huit clefs plates ; surtout, on voit les nervures des voûtes de l’abside et de la nef reposer sur leurs supports par l’intermédiaire de chapiteaux ornés de feuillages, alors qu’au­jourd’hui encore, elles pénètrent directement dans ces supports, selon la pratique courante à partir du XVe siècle.

C’est en effet à cette époque que l’on peut attribuer le vaisseau principal de cette église d’un style gothique tardif, avec ses fenêtres, ses voûtes complexes à nervures de profil concave, avec des clés plates ornées du soleil et de la lune, des monogrammes du Christ et de la Vierge (chœur) et des lettres SQ, d’un cœur, de trois étoiles, et du blason sans décor des Albret, dont la baronnie devint en 1554 duché paierie (seconde travée de la nef). Mais ce premier édifice devait être complété dès le siècle suivant par un bel ensemble occidental.

L’agrandissement vers l’ouest au milieu du xvie et au début du xviie siècle

n contrat retrouvé par Paul Roudié pour deux cloches commandées en 1554 par la fabrique de Sabres à un maître fondeur de Bordeaux montre qu’à cette date le clocher mur devait être en voie d’achèvement, ainsi que la porte d’entrée et peut-être aussi le portail. En revanche, les clés pendantes de la première travée de la nef n’étaient peut-être pas encore installées : l’une, à l’est, est ornée de deux écus couronnés tenus par des anges : l’un de la maison de France aux trois fleurs de lys, et l’autre du Béarn, à la vache clarinée, qui sont d’Henri IV ; sur une autre, des anges tiennent une couronne fleurie, présentant un écartelé de trois fleurs de lys de France en 1 et 4, et une vache clarinée de Béarn, en 2 et 3.

Dans son testament du 10 mars 1555, le curé de Sabres, Menault Depart, décida de faire construire au nord du chœur sa chapelle funéraire, dont les nervures de la voûte retombent sur des culots ornés de blasons imitant le cuir, à la manière espagnole et un angelot dans une couronne peut-être ducale. Le fondateur souhaitait que l’on y plaçât les statues de la Vierge de Miséricorde, de Saint Jean l’évangéliste et de Sainte Barbe, protectrice de la foudre.

Un beau portail à découvrir dans ses moindres détails

Portail occidental
Portail occidental

Mais la pièce maîtresse qui nous est parvenue de cette époque est le portail par lequel on entre dans la nef.
Ses cinq voussures en anse de panier sont admirablement sculptées. Au-dessus d’un cordon de billettes, la gouttière est peuplée de figures curieuses : de gauche à droite, de grands oiseaux se mêlent à des animaux fantastiques, souvent serpentiformes, ou s’entre-dévorant ; des chiens à l’aspect féroce courent après un lièvre ; une souris, la tête en bas, joue d’un instrument à vent.
Ce bestiaire, d’esprit encore médiéval, voisine avec un décor typiquement Renaissance : masques barbus à l’antique, bucrane, têtes de singes écoutant quelque orateur, visages à demi cachés parlant ou écoutant discrètement, un autre conversant avec un serpent.
On remarquera aussi ce buste de jeune homme aux cheveux longs, portant un cœur en médaillon, et le groupe pittoresque composé d’Adam (assis, tenant la pomme) et d’Ève, montrant sa main droite responsable de l’avoir cueillie.

Saint Loup
Saint Loup

Trois statues de style différent complètent ce portail en explicitant sa signification religieuse : ce sont, sous l’accolade Saint Michel triomphant du dragon et, horizontalement entre deux voussures, Saint Laurent diacre reconnaissable au gril de son supplice et, assis sur un banc et montrant sa crosse, Saint Loup, archevêque de Sens mort en 610. Deux niches ménagées dans les piédroits devaient abriter d’autres statues, qui reposaient sur des socles ornés d’un griffon et d’un lion. Aujourd’hui disparues, ces statues avaient été remplacées après 1869, par d’autres en plâtre représentant Saint André (30 novembre) et Saint Joseph (19 mars).

Ce portail, qualifié de « complexe et hybride » par Paul Roudié, est également remarquable par la floraison des motifs décoratifs très variés que les sculpteurs ont multipliés sur les colonnettes et les voussures. Certains de ces motifs sont romans, comme les billettes, d’autres sont gothiques flamboyants, comme les lianes partant d’un masque et enrobant des quatre-feuilles, les rinceaux simples ou fleuris, les feuilles imbriquées, les écailles, les plumes ou les rubans perlés sur les colonnettes. D’autres sont Renaissance, comme les oves et dards ou rais de cœur sur l’accolade et l’archivolte supérieure, la rose servant de culot.

Le décor intérieur de l’église, après les Guerres de religion

Sous Louis XIII, l’évêque de Dax, Philibert Du Sault, considérait Sabres comme une paroisse riche, à cause des nombreux troupeaux qui pouvaient paître dans ses padouans. En 1631, un tiers de la dîme fut donnée aux Barnabites de Dax pour l’entretien de leur collège. Ont-ils influencé le choix des peintures de l’abside du chœur représentant les Pères de L’Église latine ? Ils sont peints comme des statues posées sur de hauts socles blancs, portant leur nom peint en noir : Saint Ambroise (339-397) ; Saint Augustin (354-430) ; Saint Jérôme (342-420). Mais, sur les socles, le peintre s’est trompé en inversant les noms de Saint Grégoire et de Saint Jérôme.

En 1656, on trouve la mention du peintre sculpteur Philippe Limosin, dit berrichon, encore vivant en 1680 et qui collabora avec des menuisiers, peintres ou doreurs sur des retables, autels, statues ou cadres de tableaux. Les peintures en trompe-l’œil des murs latéraux seraient-elles de son atelier, dans lequel travailla sa fille Roquette Limosin, en 1662 ?

Ce décor retrouvé sous la couche de peinture du XIXe siècle est moins lisible que celui de l’abside. C’est « un bel exemple du baroque en Haute-Lande » (J.-P. Suau), avec sa fausse architecture, ses balustres, ses effets de tentures et ses plinthes en faux marbres. Dans ce décor profane de théâtre, étaient peintes, au nord et au sud, les représentations des quatre Évangélistes, comme en témoigne encore Saint Jean l’évangéliste, du côté nord.

Le procès-verbal de la visite pastorale de Mgr Suarès d’Aulan le 10 mai 1740 ne fait pas  allusion à ces décors, mais il décrit rapidement l’autel principal constitué d’« un tabernacle de bois doré, peint en dedans, retable à colonnes de bois doré, tableau, et le reste de l’autel en bon état ; le tabernacle doit être doublé au-dedans d’une étoffe de soye et les chandeliers réparés ». Un acte notarié du 1er mai 1790 nous apprend que le retable est l’œuvre de Jean Floché, maître sculpteur de Mont de Marsan, mais que les trois peintres italiens associés, A. Chambrier, P.-Mary Genary et Jean-A. Menaben, de Roquefort, n’ont pas été payés pour leur travail sur les Anges adorateurs, toujours en place près du nouvel autel majeur. Adossés aux piédroits de l’arc triomphal, existaient au XVIIe siècle, au nord un autel dédié à la Vierge Marie et au midi, un autre pour Saint Blaise, patron des troupeaux, des tisserands et des cardeurs. La Révolution fit disparaître le culte de ce dernier.

Après la Révolution française

La Révolution n’a provoqué que peu de dommages au bâtiment, car la municipalité nouvelle l’a utilisé, après l’avoir vidé de son contenu, par arrêté du 24 floréal an II (1793). En messidor an II (juin 1793), les objets vendus, ainsi que les prix des enchères et les noms des acquéreurs, furent inscrits sur le « registre des dépouilles du fanatisme ». Les patènes, ciboires, calices, ostensoir et burettes, inventoriés en 1740, furent expédiés à la monnaie de Paris.

Avec le Concordat (1802), c’est le retour officiel de la fabrique, habilitée à gérer l’argent et l’entretien de l’église : ainsi, le 1er mai 1807, elle signera un contrat avec l’atelier de Jean Floché pour la création de l’autel de Saint Loup et la réparation du maître-autel ; ce document nous donne aussi le nom de Castandet, doreur de Tartas, chargé de « repeindre le maître-autel et celui de saint Loup et argenter six chandeliers ». La statue de Saint Loup, en bois doré, est encore dans l’église, en attendant d’être restaurée ; il était le saint patron de Sabres : les fêtes annuelles locales l’honorent encore.

En mai 1841, on répare les autels de Saint Loup et de la Vierge, et en janvier 1844, on installe un « autel privilégié » dans la chapelle de la Vierge, dont la clef de voûte fut ornée des armes du pape Pie IX (1846-1878). Le chemin de croix, peint sur quatorze toiles, date de la même époque (1846). Quant au décor peint, le Conseil de fabrique du 1er janvier 1840 avait déclaré qu’« il est indispensable de faire disparaître les peintures grotesques qui marquent le sanctuaire. »

L’agrandissement et l’aménagement de l’église sous le ministère de Jean-François Pédegert, curé de Sabres de 1853 à 1871

Selon l’abbé Gabarra son biographe, pour l’abbé Pédegert l’église de Sabres dont il devint le desservant en 1853 était « un monument remarquable par son style, par son élégance et sa hardiesse », mais qui souffrait de l’état de « ces affreux retables, dont il faut soutenir les colonnes et les tympans qui bouchaient les fenêtres du chœur » : dès son arrivée, il fit donc détruire le retable du chœur pour rouvrir les trois grandes baies du chevet et y installer entre 1853 et 1855 les vitraux de son ami, l’abbé Goussard, maître verrier à Condom (Gers).

1. Raphaël et son chien, Tobie et le poisson (Goussard, 1855)
1. Raphaël et son chien, Tobie et le poisson (Goussard, 1855)

Dans la verrière centrale, à trois lancettes, Saint Michel, vainqueur du dragon et patron de l’église, est encadré par les archanges Raphaël et Gabriel. Dans les baies latérales, à deux lancettes, à droite, Gabriel annonce à Marie la conception de Jésus, tandis qu’à gauche, Raphaël conduit Tobie auprès de son père aveugle,. Cette création a heureusement conservé dans un des remplages un précieux vestige de la vitrerie du XVIIe siècle, un fragment de verre rouge enrobant une fleur de lys, seul retrouvé en 1986 par le peintre verrier bordelais Jacques Dupuy.

Un peu plus tard, en 1859, l’abbé Pédegert demanda à l’architecte diocésain Hippolyte Durand d’établir une liste des travaux à faire pour l’agrandissement de l’église : construction à neuf du porche et des fonds baptismaux ; ouverture d’arcades au nord et au midi pour former les bas-côtés ; nivellement de la sacristie, du chœur, de la chapelle Saint-Roch et dallage ; maître autel et peintures du chœur ; ambons en fer, confessionnaux, stalles et tribune… Dans cette longue liste des travaux à accomplir, l’essentiel était destiné à la création des bas-côtés, pour agrandir l’église. Les travaux réalisés, la consécration de l’église par Mgr Epivent eut lieu le 5 mai 1869.

2. Au-dessus de l'Annonciation (Goussard, 1855) dans un lobe du remplage :
Fleur de lys jaune sans doute du XVIIe siècle, montée "en chef d'oeuvre"
2. Au-dessus de l’Annonciation (Goussard, 1855) dans un lobe du remplage :
Fleur de lys jaune sans doute du XVIIe siècle, montée « en chef d’oeuvre »
3. Saint Loup célébrat la messe et la Vierge Marie présentant l'Enfant Jésus (Goussard, 1869)
3. Saint Loup célébrat la messe et la Vierge Marie présentant l’Enfant Jésus (Goussard, 1869)

Les deux autels placés contre les piédroits de l’arc triomphal furent reportés dans les nouvelles chapelles, et à leur place, furent installés deux ambons en fer. L’arc triomphal fut orné de beaux entrelacs fleuris sur fond turquoise par Tiburce Meyranx, peintre de Mugron ; des dais peints au-dessus des ambons reçurent des statues de Saint Pierre et de Saint Paul. Un maître autel néogothique fut installé sur deux gradins, et la voûte reçut un bleu de ciel parsemé d’étoiles d’or, selon le goût du xviie siècle. Dans la chapelle Saint-Roch, l’atelier Goussard réunit, dans une fenêtre double, Saint Loup célébrant la messe et la Vierge, debout dans une mandorle de nuages, accompagnée de l’Enfant Jésus sur un globe bleu étoilé.

La tribune fut réalisée par Balhadère, forgeron de Sabres en 1869, à qui rien ne permet en revanche d’attribuer la longue grille en fer forgé du sanctuaire. Les nouvelles chapelles de Saint-Loup et de la Vierge reçurent des tableaux : le premier reste anonyme et représente Saint Michel terrassant le dragon. Pour la seconde chapelle, c’est une copie, offerte par Napoléon III, de la Vierge à l’Enfant d’Esteban Murillo (1618-1682), peinte par Félicité Chastanié (1816-1891). Avant et après 1906, l’église s’est ‘peuplée’ des traditionnelles statues « saint Sulpiciennes » (Sacré-CœurAntoine de PadoueVincent-de-Paul et Bernadette de Lourdes, après sa canonisation en 1933). L’intéressante statue en bois de Jeanne d’Arc (canonisée en 1920), qui est protégée au titre de Monument historique, est actuellement en cours de restauration *. Enfin, on n’oubliera pas, en cette année de commémoration du début de la Grande guerre de 1914-18, de citer la toile du monument aux morts, peinte par H. Descorps en 1922.

Classée parmi les Monuments historiques le 23 mars 1942, et inscrite à l’Inventaire supplémentaire le 18 décembre 1991 pour le porche et les bas-côtés, l’église Saint-Michel de Sabres mériterait bien aujourd’hui la restauration et la mise en valeur de sa nef.

Jeanne d'Arc par Fernand Py, avant restauration
Jeanne d’Arc par Fernand Py, avant restauration
Jeanne d’Arc par Fernand Py. Détail avant restauration

Simone Abbate

* Cette œuvre remarquable de Fernand Py (1887-1949), célèbre sculpteur et créateur de médailles, avait beaucoup souffert d’attaques d’insectes xylophages qui ont fait disparaître certaines de ses parties ‒ pied, doigt, etc. ‒ et qui menaçaient son existence même. Dès qu’elle a eu connaissance de cette situation, l’AEAL est intervenue en urgence en se substituant à l’Association diocésaine, propriétaire de l’œuvre, pour financer un traitement de choc et une pré-consolidation, à l’aide d’un versement de 3 000 € effectué en 2012-2013.

Cette première intervention sera suivie d’une restauration complète, comportant la consolidation des volumes fragilisés, la reconstitution des parties disparues, un nettoyage des surfaces encrassées, la restitution de la polychromie originelle. Ces travaux, dont le coût dépassera 8 000 €, seront pris en charge par la commune de Sabres, à laquelle l’Association diocésaine a cédé ses droits, avec l’aide des pouvoirs publics et d’associations locales.

Des interventions analogues et d’un coût tout aussi élevé devront être réalisées sur la statue de bois doré de saint Loup, qui souffre des mêmes menaces.

Préserver l'histoire, célébrer la foi : Ensemble pour les Églises Landaises.

L’AEAL organise régulièrement des visites des églises et des événements tout au long de l’année.