Inscrite à l’Inv. Suppl. des Monuments historiques le 8 juillet 2004
Un peu d’histoire
Le 2 mai 1322, sous le règne d’Édouard III, roi d’Angleterre et duc de Gascogne, Fortanier de Lescun, sénéchal de Béarn et de Marsan, représentant Jeanne d’Artois, comtesse de Foix et vicomtesse de Béarn et de Marsan, et Jehan de Chanault, commandeur de l’Hôpital de Saint-Antoine de Golony, s’engagèrent en paréage, pour fonder la bastide de Granata.
La nouvelle agglomération, délimitée au sud par l’Adour, sur ses autres côtés par le ruisseau de l’Arriou, formait un parallélogramme de 235 m de long et 151 de large, entouré de murailles. Son église, qui est implantée à l’angle nord-est de l’ensemble, a sans doute été entreprise très tôt : son curé, Nicolas de Fabrica, est en effet déjà mentionné dans un document du 24 mai 1340.
En 1559, le capitaine huguenot Montgomery, qui occupait la ville, en fut chassé par Montluc, mais avant de partir, il mit le feu à l’église. Si l’on en juge par les termes du Procès-Verbal établi sur l’ordre du roi Charles IX, les dégâts furent considérables : les voûtes de l’église étaient effondrées, leurs décombres calcinés jonchant le sol, les bois de charpente noircis, disjoints et à moitié brûlés, les murs lézardés, les verrières déformées et béantes, l’autel détruit, les portes arrachées de leurs gonds, mêlées et confondues avec les débris des cloches et de leur beffroi.
L’appauvrissement de la population, en particulier par les pillages et l’incendie causés pendant la Fronde, retarda la restauration, qui ne put être entreprise qu’à la fin du xviie siècle, par un curé nommé Vincent ; mais les travaux, « mal calculés » ébranlèrent le monument : en 1755, François Sarret de Gaujac, évêque d’Aire, notait lors de sa visite pastorale à Grenade, que la voûte de la nef présentait une crevasse considérable, et que la toiture était en mauvais état. La fabrique intenta un procès aux héritiers du curé, la famille de Muret, qui accepta de verser de 8.400 livres. Toute la voûte fut alors refaite par un maçon d’Arzacq, comme le rappelle l’inscription gravée sur une clé : cette eglise a ette batie par fan gachard darzac en lannee m.dcc lxx pax vobis.
Ces divers travaux n’avaient permis de replacer qu’une petite cloche dans une baie de la façade, et on avait dû en monter deux grosses dans une sorte de clocher élevé au milieu de la halle qui occupait le centre de la place. Le 23 thermidor an II (10 août 1794), la municipalité décida de démolir la halle et donc son campanile, mais c’est seulement en 1836 que le problème put être résolu : l’abbé Destenave Minimus, nommé en 1833 curé de Grenade, venait de la paroisse parisienne de Saint-Sulpice : il proposa à la commune la construction de deux tours de façade à l’imitation de celles de cette église : les travaux, évalués à 20.000 francs, furent menés assez rapidement.
Un édifice sans cesse agrandi et transformé au cours des siècles
Comme il est habituel dans cette région, l’église édifiée pour le service de la nouvelle bastide de Grenade ne comportait à l’origine qu’un unique vaisseau de plan rectangulaire, ici orienté nord-sud. Elle présentait toutefois deux particularités plus exceptionnelles : d’une part, des dimensions relativement élevées – une longueur intérieure de 29,50 m pour une largeur de 9,05 m ; d’autre part, la présence d’une grande arcade séparant la nef et le sanctuaire, tous deux couverts d’une simple charpente.
Très tôt sans doute après sa construction, ce premier édifice a été fortifié par l’exhaussement de ses murs, qui ont été percés de petites meurtrières au sommet, et certainement par l’aménagement d’une pièce forte dans les combles.
Au siècle suivant, l’extrémité septentrionale du mur ouest de la nef a été flanquée d’une construction rectangulaire qui comportait au moins deux étages : un rez-de-chaussée de deux travées, dont une conserve encore une voûte à liernes et tiercerons ornée de cinq belles clés ; un étage supérieur à destination défensive, percé de très nombreuses petites meurtrières, les unes perpendiculaires au mur, les autres obliques, pour protéger tout le flanc ouest de l’édifice.
C’est sans doute au cours de la même campagne de travaux que le sanctuaire a été embelli : ses trois fenêtres ont été considérablement agrandies et ornées de remplages flamboyants, et des culots ont été engagés dans ses angles pour recevoir les ogives d’une voûte.
Le développement démographique, et sans doute économique de la bastide après le retour de la paix a dû être assez rapide pour exiger l’agrandissement de l’église par la construction de deux collatéraux à quelques décennies d’intervalle. Le premier édifié l’a été du côté ouest, où il a englobé la première travée de la chapelle construite antérieurement : pour mettre les deux vaisseaux en communication, on a remplacé le mur gouttereau épais de l’origine par trois arcades qui retombent par des pénétrations sur deux pilastres aux extrémités et sur deux piles cylindriques dans l’intervalle, et qui portent un mur aminci.
Le second collatéral a été construit sur le flanc est à l’imitation du premier, mais il est un peu plus étroit, les piles sont plus volumineuses, et leurs bases sont d’une modénature moins soignée.
Par la suite, après la destruction par les Protestants de la voûte en bois couvrant la nef, on a voulu mettre l’édifice à l’abri d’une nouvelle destruction par la construction d’une voûte en pierre.
Mais les nouveaux murs gouttereaux relativement faibles qui avaient été élevés au-dessus des grandes arcades ont été encore affaiblis par le percement de nouvelles fenêtres : de graves désordres s’étant produits dans la travée centrale, on a dû reconstruire la voûte de cette travée et renforcer le mur latéral est par trois arcs-boutants.
Au XIXe siècle enfin, les deux tours de la façade élevées au-dessus de la moitié de la première travée des deux collatéraux ont été appuyées sur les murs existants et sur des arcades portées par des piles volumineuses.
Un peu plus tard, une petite sacristie construite à l’ouest du sanctuaire a été agrandie pour en faire une chapelle de la Vierge, et on en a construit une nouvelle plus vaste à l’est. Dans le même temps, l’ensemble a été doté d’un décor peint et d’un remarquable mobilier complétant les quelques éléments qui avaient échappé aux destructions de la Révolution.
Le décor peint du sanctuaire
Les Archives municipales de Bordeaux (recueil 62) conservent un ensemble de planches correspondant à des projets de décors muraux établis par les peintres Augier et Millet.
Trois de ces planches, datées de l’année 1896, concernent l’église de Grenade – le mur ouest de son sanctuaire, une travée de la nef et d’un collatéral, une partie du mur est du sanctuaire et la 3e travée de la nef et du collatéral. L’ensemble du projet a été réalisé assez fidèlement, mais une restauration récente n’a laissé subsister que le décor du sanctuaire.
Sur les murs, ce décor s‘organise sur un fond où des quadrilobes dessinés par des tiges entrelacées et renfermant les clés croisées de saint Pierre alternent avec des intervalles losangés contenant les uns des rosaces de feuillages, les autres des rameaux stylisés. Ce décor, composé de valeurs diverses de rouge et de bleu, est délimité sur le pourtour par deux frises ornées de légers rinceaux, et à la base par un bandeau formé d’élégants rinceaux encadrant des quadrilobes qui renferment alternativement une croix latine renversée et les lettres SP (Sanctus Petrus) et un rameau compliqué.
Entre la frise et la boiserie ornant le pourtour du sanctuaire, une large bande rouge porte un décor végétal imitant un tissu damassé. Sur ce fond, la fenêtre est se détache dans un encadrement dessinant des pilastres surmontés de pinacles. En face, une fausse fenêtre renferme les armes et la devise du pape Léon XIII – Lumen in cœlo – et de Mgr Delannoy, évêque d’Aire et de Dax – Hæc est spes nostra.
Sur la voûte, un ciel bleu est constellé de grandes étoiles blanches alternant avec de petites étoiles jaunes. Au centre, de beaux rinceaux encadrent la clé, sur laquelle un triangle trinitaire encadré par un trilobe porte le monogramme du Christ IHS.
Un mobilier de qualité réalisé pour l’essentiel au xixe siècle
Au début du XIXe siècle, le mobilier de l’église de Grenade devait avoir en grande partie disparu ou était en très mauvais état, et il a donc fallu le remplacer ou le compléter. Il forme aujourd’hui un ensemble très complet, pour l’essentiel disposé dans le sanctuaire et les parties voisines.
Le maître-autel et son retable sont formés d’éléments d’origine et de date différentes habilement réunis en un ensemble harmonieux.
Au centre de la cuve galbée en marbre de couleur, un relief de marbre blanc représente deux têtes d’angelots entourés de nuages ; le tabernacle, en forme de demi-tour, est orné d’un linge blanc tombant de trois clous d’or ; sur sa porte également en marbre, un triangle d’or apparaît dans un nuage entouré de rayons.
Dans le retable, deux groupes de colonnes jumelées, appliquées sur un fond orné de guirlandes portant un angelot, sont composées d’une haute base cylindrique décorée de feuillages et d’une tête d’angelot, d’un fût cannelé et d’un chapiteau corinthien ; elles encadrent un grand tableau et portent un entablement orné de rinceaux et un demi-fronton cintré sur lequel est perché un ange. Au-dessus, les deux parties d’un fronton triangulaire brisé encadrent un édicule dans lequel un petit tableau formant attique est surmonté d’un fronton cintré brisé et d’un acrotère portant un arbre stylisé.
Le grand tableau, qui provient de l’ancien couvent Sainte-Claire de Mont-de-Marsan, représente une Descente de Croix : le groupe central est encadré par la Vierge et saint Jean, et par Joseph d’Arimathie et saint François d’Assise, devant lesquels deux femmes sont agenouillées : l’une est Marie-Madeleine portant un vase d’onguent, l’autre sainte Claire tenant sa crosse et une lampe allumée.
Sur le petit tableau, le Christ est figuré bondissant obliquement de son sépulcre, sous les yeux des soldats qui le gardaient.
À l’exception du grand tableau que l’on peut dater du XVIIe siècle, et de quelques éléments qui semblent remployés, la majeure partie de cet ensemble a été réalisé et composé au XIXe.
Un second autel a été placé au centre du sanctuaire en face du peuple : il s’agit d’une belle imitation en bois de l’autel de marbre d’Amou provenant de l’abbaye de Saint-Jean-de-la-Castelle supprimée par la Révolution.
La table de communion exécutée en bois au XVIIIe siècle est richement décorée : entre des pilastres galbés ornés de chutes de feuillages, les balustres tournés sont reliés par des arcs portant alternativement des feuilles, des rosettes ou des têtes d’angelots ; sous la tablette supérieure, court un bandeau orné de rinceaux et de têtes d’angelots dans un rayonnement de plumes. Les portes ont été déposées.
La chaire jadis placée sur la deuxième pile ouest de la nef a été déplacée à l’entrée du sanctuaire. Sur la cuve, des panneaux en bas-relief représentent les Évangélistes ; le panneau arrière, sur lequel est figuré le Bon Pasteur, porte un dais surmonté d’un pinacle ajouré ; le culot pyramidal est orné de bas-reliefs végétaux. Sur la rampe de l’escalier, des sculptures ajourées représentent de bas en haut un passeur menant sa barque dans laquelle est assis un personnage vêtu d’une grande cape, une Vierge à l’Enfant, un vieillard en méditation. La porte de la cuve a été retirée et elle décore les fonts baptismaux. L’ensemble, de très belle facture, a été rapproché du travail de l’atelier de Laclau, à Toulouse (début du XIXe siècle).
Le grand crucifix qui faisait face jadis à la chaire occupe aujourd’hui son emplacement. Le Christ, dont les deux pieds sont séparés, porte un perizonium retombant sur le côté. Son corps musclé est d’un beau réalisme. La date de 1819 est gravée à la base du socle.
Les autels et les retables des collatéraux, également du XIXe siècle, sont en stuc, mais de style très différent.
Dans le collatéral ouest, l’autel dédié à la Vierge est formé par l’assemblage des deux portes déposées de la table sainte ; il porte une armoire eucharistique en marbre.
Le retable est partagé en trois volets délimités par quatre colonnes en faux marbre, couronnées de chapiteaux ioniques. Dans le volet central, une statue dorée placée dans une niche représente la Vierge debout, couronnée, tenant Jésus également couronné et debout sur un globe.
Au sommet de l’ensemble, un entablement composite soutient un fronton-pignon dont le panneau central porte le monogramme de la Vierge A[ve] M[aria].
Le marchepied fait d’une marqueterie de marbre porte la date du 18 juillet 1902.
Au fond de la chapelle ouvrant sur le collatéral ouest, ont été disposés un autel et un tabernacle de marbre blanc, et un marchepied en pierre et graniteau.
L’ensemble dédié à saint Joseph du collatéral est comporte un autel en faux marbre de forme galbée, orné au centre d’un trophée de charpentier réunissant une cognée, une équerre, une règle, un compas.
Dans l’unique volet du retable, une niche concave abrite une statue de saint Joseph debout, les mains posées sur les épaule de Jésus, également debout, bénissant de la main droite et posant la main gauche sur sa poitrine, en désignant son cœur. Au sommet, des têtes d’angelots jaillissant de nuages et une couronne de rayons dorés entourent une gloire lumineuse.
Le décor de la chapelle de semaine : Lors de l’aménagement de la chapelle qui flanque à l’ouest le sanctuaire, on a remployé deux panneaux en bas-relief du xviie siècle, dont un, inséré dans la porte du tabernacle, représente le Christ en croix encadré de la Vierge et de saint Jean ; Marie Madeleine est prostrée au pied de la croix qu’elle enserre de ses bras.
Un second panneau formant une sorte de fronton au-dessus du tabernacle figure deux angelots sortant de nuages pour offrir un bouquet de fleurs à une croix.
Au-dessus de cet ensemble, une statue représente la Vierge debout, les bras écartés dans un geste d’accueil, au centre de nuages peuplés d’angelots ; d’autres angelots dans des nuages entourent une gloire lumineuse.
Les vitraux : Les deux grands panneaux de la fenêtre à remplage du sanctuaire représentent respectivement l’apparition de la Vierge dans la grotte de Lourdes et Bernadette.
Les vitraux de la nef sont purement décoratifs ; parmi ceux des collatéraux, qui sont dus à l’atelier B.P. Dagrant de Bordeaux et datés de 1892, on notera surtout : une Nativité, dans laquelle la Vierge entoure de ses bras Jésus couché dans la crèche, devant Joseph, mains jointes, et en face d’anges agenouillés et s’inclinant devant l’Enfant ; une Sainte Famille, avec Jésus sciant une planche aux pieds de Marie occupée à coudre, devant Joseph qui tient aussi une scie.