Édifice classé M. H. le 12 mai 1975
La petite église Sainte-Marie d’Audignon est sans aucun doute l’une des plus passionnantes du département des Landes. Elle associe en effet des éléments d’époque bien différente, mais également remarquables par leur qualité et leur originalité.
Une première église romane
On ne possède aucun renseignement documentaire sur les origines et sur l’histoire ancienne de l’édifice, mais on peut supposer que la proximité de la puissante abbaye de Saint-Sever, distante de 3 km à peine, et celle de la Route de Pèlerinage rappelée par la présence, non loin de là, d’un ancien relais de pèlerins ont pu jouer un rôle déterminant dans ces débuts.
Dans son premier état, l’église, de dimensions assez modestes, présentait un parti général très simple, comportant un chevet voûté ouvrant sur une nef charpentée. De cet édifice, les destructions entraînées par les guerres, des adjonctions et deux agrandissements n’ont pratiquement laissé subsister que le chevet, qui se détache aujourd’hui en avant des volumes plus informes de deux collatéraux.
Construit en moyen appareil bien régulier et épaulé par deux contreforts-colonnes, ce chevet est couronné à l’extérieur par une corniche ornée de boules, qui s’appuie sur les chapiteaux des colonnes et sur des modillons dont 23 sont bien conservés. Ses fenêtres étroites étaient fermées par un linteau monolithe décoré de demi-cercles concentriques outrepassés.
Les thèmes mis en œuvre sur les éléments sculptés sont très divers : un des chapiteaux porte une file d’oiseaux disposés très verticalement et dont les serres étreignent des boules ; sur l’autre, des lions fièrement dressés saisissent de leurs griffes de petits quadrupèdes qui rampent sur l’astragale.
Des modillons portent des thèmes décoratifs, qui sont soit géométriques – composition de billettes, moulures concentriques, tores parallèles ou volutes -, soit végétaux – feuilles découpées terminées par une boule. Mais on observe aussi de nombreux thèmes figurés ou historiés : des oiseaux représentés seuls ou par deux, des têtes de fauves ou de personnages monstrueux, des exhibitionnistes dont un à face simiesque, un « penseur » assis, la tête appuyée sur une main, le coude sur le genou, un joueur de viole, et enfin un chevalier protégé par son écu et sonnant du cor, dans lequel la tradition locale a tout naturellement reconnu Roland sonnant de l’oliphant.
Comme il est assez fréquent pour une église, qui représente pour les chrétiens un havre de salut, mais que l’on considérait comme cernée de toutes parts par des forces menaçantes, les thèmes figurés ou historiés ainsi représentés sur ce chevet évoquent plus ou moins explicitement le Mal, le Péché ou leur châtiment : péché de la chair figuré par les contorsionnistes ou par le musicien entraînant à la danse ; péché de la violence du guerrier ; mais aussi menace d’une punition de ces péchés par des lions ou des oiseaux infernaux.
Le charme de cet ensemble est encore souligné par la qualité de quelques éléments plus humbles : des marques de tâcherons très développées, et surtout quelques graffiti sans doute tracés par des pèlerins de passage et qui représentent en particulier une harpie, une tête d’homme, et plusieurs nœuds de Salomon.
L’intérieur du chevet est tout aussi remarquable. Comme assez souvent dans le Sud-Ouest, et en particulier en Chalosse, la partie supérieure des murs de l’abside et de la travée droite est ici en encorbellement sur la partie inférieure ; mais, au lieu de s’appuyer comme d’ordinaire sur une arcature, elle repose sur une sorte d’architrave ornée de billettes et portée alternativement par des colonnettes et par des modillons. Cette disposition, qui est un héritage de l’architecture antique, est rare à l’époque romane ; on ne la retrouve que bien plus au nord, en particulier dans quelques églises de Charente et du Périgord, comme la cathédrale Saint-Front de Périgueux. Elle est introduite ici par des éléments plus habituels, un arc triomphal porté par des colonnes dont le fût a été en grande partie supprimé au XVIIIe siècle.
Une part importante des sculptures qui ornaient ces divers éléments ont également disparu ou ont été tellement amputées qu’elles ne sont plus identifiables. Celles qui subsistent sont d’une grande qualité et d’une intéressante iconographie. Alors que les chapiteaux et modillons historiés de l’extérieur évoquaient les forces du mal et leur châtiment, c’est tout naturellement un programme beaucoup plus serein et plus optimiste qui est illustré par les trois sculptures historiées bien conservées de l’intérieur.
Le seul modillon encore lisible du fond de l’abside porte la Vierge tenant Jésus sur ses genoux. Le même thème est repris sur un des chapiteaux de l’arc d’entrée, dans une composition beaucoup plus complexe et plus riche de sens : de part et d’autre de la Vierge et de l’Enfant, les mages sont représentés à leur arrivée, portant leurs présents dans leurs mains voilées, puis à leur départ, poussés par un ange qui jaillit du ciel : ils figurent ainsi l’offrande humaine à Dieu, c’est-à-dire l’un des aspects essentiels de l’Eucharistie.
D’ordinaire, en pareil cas, le second chapiteau de l’arc d’entrée complète la leçon du premier, en montrant, avec le sacrifice d’Abraham, un autre aspect de l’Eucharistie, l’aspect sacrificiel. Ici, c’est le premier aspect qui est repris, mais dans une autre de ses correspondances, la double offrande des fils d’Adam et d’Ève, Caïn tenant une gerbe et Abel apportant un agneau au Seigneur, figuré sous les apparences du Christ en majesté. On sait que dans la suite du récit de la Bible, le Seigneur ayant agréé l’offrande d’Abel dont le cœur était pur, et rejeté celle de Caïn, celui-ci se vengea en tuant son frère.
Dans tous ces éléments, on peut reconnaître le style d’au moins trois sculpteurs. L’un de ces sculpteurs a réalisé trois chapiteaux de la colonnade du fond de l’abside, dont les grandes feuilles nues, les volutes en forme de coquille d’escargot, les dés prismatiques se retrouvent à Hagetmau et surtout à Saint-Sever dans les tribunes nord et les absidioles méridionales. Un deuxième style tout aussi caractéristique est celui des chapiteaux de l’arc d’entrée, mais aussi de quelques modillons de l’intérieur et de l’extérieur : il s’observe à Saint-Sever dans les parties les plus occidentales de la nef –en particulier sur le chapiteau du Martyre de Jean-Baptiste -, où il est en concurrence avec un autre, plus proche des chapiteaux historiés de Hagetmau.
Enfin, c’est un troisième style qui a marqué, à l’extérieur, les deux chapiteaux de la corniche et quelques modillons ornés de motifs géométriques ou de figures : on en retrouve les caractères aussi bien plus au nord, au Mas-d’Agenais, que plus au sud, à Lucq-de-Béarn.
Toutes ces comparaisons sont parfaitement convergentes : elles conduisent à dater ces sculptures et donc le chevet qu’elles ornent du premier quart du XIIe siècle.