1. Le XIe siècle, dans la continuité de l’Antiquité tardive et du Haut Moyen Âge

Le XIe siècle, dans la continuité de l’Antiquité tardive et du haut Moyen Âge

L’importance des destructions subies au cours du haut Moyen Âge, mais plus encore peut-être la longue régression culturelle qui avait suivi la venue des Vascons n’avaient laissé subsister que très peu de témoignages des premières manifestations de l’art chrétien : près du sommet de la colline du Mas d’Aire, un mausolée voûté du IVe siècle, abritant un riche sarcophage paléochrétien ; dans le faubourg Saint-Vincent de Dax, la basilique épiscopale à trois nefs et chevet polygonal du Ve, ornée de chapiteaux de marbre et de mosaïques ; dans des villas antiques, comme à Sorde, à Pardies, à Saint-Sever, des aménagements de pièces d’apparat pour servir d’oratoires…

Toutes ces constructions étaient faites de moellons carrés – l’opus quadratum -, ou allongés, disposés par lits horizontaux et noyés dans un bain de mortier. Ce procédé économique et d’exécution facile s’est certainement maintenu durant le haut Moyen Âge ; on a dû toutefois lui associer alors, même pour la construction des lieux de culte, des techniques plus rudimentaires, telle la construction en charpente et torchis, ou même entièrement en argile crue, comme on en voit encore aujourd’hui dans deux églises du Gers.

Ces mêmes techniques ont certainement encore été utilisées au XIe siècle pour la construction de certaines des très nombreuses églises dont le Cartulaire de la cathédrale de Dax signale l’existence et qui ont très tôt disparu. Seuls en effet quelques édifices construits en moellons sont parvenus jusqu’à nous : l’emploi de ce procédé y est souvent associé à des partis aux archaïsmes fort marqués :

– une abside semi-circulaire prolongeant exactement la nef et parfois orientée à l’ouest comme à Saint-Orens (Cne de Saint-Perdon) et à Caro (Cne de Pouydesseaux) ;

– un plan à chevet droit comportant un petit chevet carré voûté en berceau et une nef plus vaste simplement charpentée, dans le pays de Marsan ;

– une grande abside polygonale, dotée d’angles en moyen appareil, mais dépourvue de contreforts, comme à Biganon ;

– de grandes nefs charpentées, sans aucun renforcement ni décor, comme jadis à Saint-Paul-lès-Dax, à Nerbis ;

– des absides dont l’arc d’entrée repose sur des piédroits nus, sans colonnes ni pilastres ;

– des fenêtres très étroites comportant parfois un double ébrasement non appareillé, plus souvent un ébrasement unique ouvrant sous un linteau monolithe, et qui sont parfois placées très haut sous le toit, plus rarement à l’intérieur ou au-dessus d’un contrefort ;

– enfin, absence totale de décor sculpté, à l’exception, dans de rares cas, d’un chrisme, comme à Bostens ou Saint-Avit.

Églises à chevet plat du Pays de Marsan
Bostens. Chevet
Intérieur de la Cathédrale de Dax

2. Le XIIe siècle, et le triomphe de l’art roman

L'abbatiale de Saint-Sever et son rayonnement

Saint-Paul-lès-Dax. Baiser de Judas

Durant les trois dernières décennies du XIe siècle et au début du XIIe, alors même que l’on continuait d’utiliser pour la plupart des constructions des procédés et des partis traditionnels, un chantier d’une ampleur considérable s’est ouvert à des techniques et à des conceptions toutes nouvelles.

Sur la rive gauche de l’Adour, à quelque distance du castrum de Morlanne, l’abbaye de Saint-Sever, créée en 988 , avait été favorisée par d’importantes donations de son fondateur, le duc Guillaume Sanche, et de ses fils, et elle avait connu un grand développement sous le gouvernement de l’abbé Grégoire de Montaner (1044-1072). Après une sévère destruction vers 1065, la reconstruction de son église fut menée assez activement pour permettre une consécration partielle célébrée par Grégoire lui-même. Le parti vaste et complexe alors adopté était associé à une élévation et à des procédés assez traditionnels, et la sculpture en était sans doute totalement absente.

Dès les années 1075-1080, l’arrivée sur le chantier d’un maître d’œuvre et de sculpteurs nouveaux allait profondément modifier ce parti encore très archaïque, en ajoutant encore à sa complexité et à son harmonie, et surtout en le dotant d’un décor sculpté particulièrement remarquable.

Enfin, vers la fin du même siècle, des artistes fortement influencés par les recherches menées alors à Saint-Sernin de Toulouse et sur d’autres chantiers du Languedoc et d‘Espagne allaient apporter des conceptions très proches de « l’art du Pèlerinage ».

En dépit de la perfection et de l’harmonie obtenues dans la synthèse de tous ces éléments, le parti général et les diverses dispositions architecturales adoptés à Saint-Sever étaient trop exceptionnels pour pouvoir exercer une influence significative sur d’autres chantiers. Il n’en a pas été de même pour le décor sculpté, dont certaines caractéristiques se retrouvent dans des édifices parfois fort éloignés – dans le Béarn, l’Armagnac, le Condomois, en Agenais, dans l’Entre-deux-Mers, et jusqu’à Soulac -, mais surtout dans des églises dépendant de l’abbaye – Saint-Pierre-du-Mont, Bostens, Mimizan -, dans d’autres églises monastiques – Hagetmau, Saint-Loubouer, Sorde-l’Abbaye, le Mas d’Aire, Lagrange -, et enfin, sous des formes plus évoluées et souvent plus maladroites dans une foule d’autres édifices moins importants.

Les influences venues de l’extérieur

La répartition et la datation des édifices landais ainsi marqués par l’art de Saint-Sever montre que, pour intense qu’il ait été, le rayonnement de l’abbaye s’est surtout exercé dans la partie orientale du département, et qu’elle n’a guère dépassé le premier tiers du XIIe siècle. Dans la même période, c’est en revanche une tout autre influence que l’on perçoit dans le décor de quelques édifices de l’ancien diocèse de Dax : les chapiteaux de l’arcature extérieure de l’abside construite vers 1120-1130 à Saint-Paul-lès-Dax, les modillons du chevet de Saubrigues, plusieurs chapiteaux de Sorde-l’Abbaye présentent des motifs et des caractères très proches de ceux que l’on peut observer sur quelques ensembles navarrais, le portail de Leyre en particulier.

Plus tard, ces diverses formes se mêleront à d’autres, venues des régions voisines, dans une sorte de fonds commun, souvent mis en œuvre par des sculpteurs moins inventifs ou moins habiles. Le prestige des grands édifices romans de l’époque antérieure explique sans doute le succès durable des formules décoratives ainsi élaborées : dans nombre d’églises plus modestes, on demeure fidèle, jusqu’au début du XIIIe siècle, à des partis généraux assez simples et traditionnels : chevets plats sans contreforts, absides semi-circulaires, comme à Beaussiet dans le Marsan, chevets réduits à une portion de cercle, comme à Herré et à Vielle-Soubiran dans la région du Gabardan, nefs charpentées ; dans certains de ces édifices, les éléments sculptés demeurent nombreux sur les fenêtres encadrées de colonnettes, et surtout sous les arcatures doublant l’intérieur et parfois l’extérieur des absides.

Les tendances conservatrices qui semblent ainsi caractériser l’art de cette période en pays landais ne se manifestent pas seulement dans les édifices les plus modestes. On les retrouve à la même époque sur quelques chantiers plus importants, comme Notre-Dame de Pimbo dans le Tursan, et surtout Notre-Dame d’Arthous dans le Pays d’Orthe, ornée par des sculpteurs de grand talent.

Saint-Sever. Parties nord du chevet
Saint-Pierre-du-Mont. Abside
Saint-Paul-lès-Dax. Chapiteau de l'arcature

3. L’âge gothique. XIIe-XVe siècles

Les hésitations d’une époque de transition

Plafond, Cathédrale de Dax

La fidélité fermement gardée à certaines formules romanes jusqu’à une époque où, dans des régions plus septentrionales ou même dans le Languedoc tout proche, l’art gothique avait déjà atteint son plein épanouissement n’a pourtant pas pu empêcher toute contamination par des formes nouvelles. À Arthous, des modillons et des chapiteaux romans voisinent dans le chevet avec des culs-de-four nervés, tandis que la nef comporte à la fois des voûtes d’ogives assez primitives et des portails dont l’iconographie rappelle certaines façades romanes tardives d’Espagne, mais dont le style se rapproche de la sculpture gothique du Nord de la France. C’est un peu dans les mêmes directions que conduit l’analyse des particularités offertes par le portail septentrional malheureusement très mutilé de Sorde-l’Abbaye, dont le style des personnages imite maladroitement le naturalisme de certaines œuvres de Champagne ou d’Île-de-France, alors que le traitement des motifs décoratifs et surtout l’iconographie peuvent en être rapprochés du porche méridional de Saint-Seurin de Bordeaux et du portail occidental de l’ancien prieuré de Mimizan, jadis dépendant de l’abbaye de Saint-Sever.
Cette dernière œuvre constitue sans aucun doute, tant par style que par la composition et par l’iconographie, l’un des ensembles sculptés les plus remarquables aujourd’hui conservés dans le département des Landes.

L’introduction du grand art gothique dans le pays landais

La persistance durable de formes romanes et la pénétration de nouvelles influences venues d’Espagne ont eu pour effet de maintenir, jusqu’en plein XIIIe siècle, la plupart des chantiers du pays landais à l’écart des grands courants de l’art gothique. Il faudra donc attendre une date assez avancée dans le même siècle, pour que des maîtres d’œuvre et des sculpteurs formés selon de tout autres principes apportent dans quelques édifices les conceptions élaborées dans les grandes cathédrales du Nord.
Le plus important de ces édifices, la cathédrale de Dax construite dans le troisième quart du XIIIe siècle a malheureusement été démolie au XVIIe. Il n’en subsiste plus aujourd’hui que le portail, comparable pour la composition à ceux de Paris ou d’Amiens, qui a été remonté à la fin du siècle dernier à l’intérieur de la grande église classique construite sur le même emplacement.
À l’exemple peut-être de la ville épiscopale, plusieurs paroisses du diocèse de Dax, dont celles de Saubusse, de Saint-Martin-de-Hinx, de Port-de-Lanne, se sont dotées au cours du même siècle d’églises gothiques plus modestes. Dans le diocèse d’Aire, les destructions et les réfections n’ont laissé subsister que peu d’édifices comparables. On sait cependant qu’à Aire même, on a mené de pair dans la même période l’achèvement de la cathédrale et la reconstruction de la nef de l’église abbatiale du Mas, dont les chevets avaient tous deux été élevés à l’époque romane, et dont la seconde conserve un grand portail occidental gothique.

L’architecture des Ordres Mendiants : le couvent des Jacobins de Saint-Sever

Comme dans tout le Midi de la France, les fondations de couvents des Ordres Mendiants se sont multipliées au XIIIe siècle dans les diocèses landais, et en particulier dans le diocèse d’Aire, mais des destructions de toute sorte n’ont laissé subsister que bien peu de vestiges de ces premiers établissements. Seul le couvent des Jacobins de Saint-Sever a pu, en dépit d’une importante reconstruction au XVIIe siècle, conserver la majeure partie de son église primitive et de son aile orientale.

Les petites églises de campagne

En dépit des conflits, ainsi que de l’état d’insécurité et des ruines qu’ils entraînaient, on a poursuivi, durant les XIIIe et XIVe siècles, dans les diocèses landais la construction de maints édifices déjà commencés, en particulier dans les villes, et l’on y a entrepris, surtout dans les campagnes, de nouvelles églises, souvent modestes et conçues selon des partis et dans un esprit tout différents de ceux qui avaient cours dans des régions plus septentrionales. Il en a été ainsi en particulier dans les bastides créées à la limite des zones d’influence anglaise et française.

Dans ces constructions, on a souvent encore utilisé la pierre, pourtant assez rare dans le pays landais : pierre coquillière dans le Marsan, « garluche » — un grès ferrugineux — dans la partie septentrionale, pierre de Bidache au Sud, calcaires locaux ailleurs. Mais progressivement le bel appareil régulier a été remplacé par des moellons débités maladroitement, puis par des briques, en particulier dans les régions les plus orientales, du Marsan au Tursan et au Gabardan.

Pour les partis, on est demeuré encore assez longtemps fidèle à des formules traditionnelles – chevets plats ou semi-circulaires, lancettes étroites à ébrasement simple ; et si des chevets polygonaux ont été adoptés ailleurs, ils ont souvent été construits comme les premiers dans le prolongement exact de la nef, avec laquelle ils forment une salle unique très simple. Enfin, nombre d’églises construites alors présentent un élément caractéristique, qui a également été souvent ajouté vers la même époque sur la façade occidentale d’édifices plus anciens, un clocher-mur très aigu percé de deux ou de trois baies abritant les cloches et doublé d’un abat-son de bois construit en appentis et couvert de bardeaux, de petites tuiles, ou plus tard d’ardoises.

Les églises fortifiées

C’est aussi la façade occidentale qui a le plus souvent reçu le système défensif dont l’église a été dotée, parfois dès sa construction, parfois seulement par la suite. Mais quelle que soit leur date, les partis adoptés ont été très divers : vaste porche épaulé de puissants contreforts et surmonté d’un clocher carré, chambre forte en surplomb, tourelle d’angle de forme circulaire ou octogonale, percée de meurtrières. Ailleurs, ce sont d’autres parties de l’édifice qui ont été dotées de dispositifs également fort divers : des tours carrées armées d’archères ou de meurtrières à Réaut dans le Marsan, à Herré ou à Laballe dans le Gabardan ; parfois, comme à Lesgor et à Beylongue dans le diocèse de Dax, à Arx et Vielle-Soubiran dans le Gabardan, c’est tout l’ensemble qui a été surmonté d’un étage fortifié par des créneaux, des merlons, et parfois des échauguettes et des bretèches ; enfin, c’est plus rarement le chevet que l’on a choisi de protéger, soit dans son ensemble, comme à Sarbazan, soit en partie, comme à Beaussiet, où une absidiole sert de souche à une tour.

Bien que la plupart des systèmes défensifs que présentent encore les églises du pays landais aient sans doute été construits au cours de cette période troublée qui s’étend des dernières décennies du XIIIe siècle jusqu’à la fin de la guerre de Cent Ans, quelques dispositions plus tardives montrent que les populations de ces régions seront bien au-delà de cette époque préoccupées par le souci de leur défense : les clochers du XVIe siècle associeront encore à de jolis portails richement décorés dans un style flamboyant et aux larges baies ouvertes dans les étages supérieurs des meurtrières percées dans les parties basses et dans les tourelles ; et il n’est pas jusqu’aux tours reconstruites ou transformées en plein XVIIe siècle dans le Gabardan ou le Pays d’Orthe — à Saint-Etienne d’Orthe, à Port-de-Lanne — qui ne gardent encore un aspect massif et sévère, dû aux éléments fortifiés dont on les a munies.

La période des grandes reconstructions

Aussitôt après la fin de la guerre de Cent Ans, on assiste, en pays landais comme partout ailleurs, à une période d’intenses restaurations : on reprend alors les clochers et les porches, on ajoute
des chapelles et parfois des nefs latérales, et on lance sur l’ensemble des édifices des voûtes à liernes et tiercerons, dotées de clefs qui, à Brassempouy, Nerbis, Sabres, Sainte-Marie-de-Gosse et ailleurs, offrent des décors parfois datés, qui révèlent une activité artistique certes assez intense, mais de peu d’originalité véritable. Enfin, dans la partie orientale du département, des tours carrées à la base, octogonales aux étages supérieurs, agrémentent la façade occidentale de nombreuses nefs trop austères ou banales.
Parfois cependant, on devine une main plus habile, comme sur les culots conservés dans le chevet en ruines de l’église de Mauras dans le Gabardan, sur ceux de la tour du couvent des Augustins de Geaune, ou sur le portail de Saint-Cricq de Parlebosq.

Les peintures murales

Les enduits de plâtres, les moulures de stuc, les badigeons et les décors peints au XVIIIe et surtout au XIXe siècle dans la plupart des églises landaises ont souvent caché ou partiellement détruit des peintures plus anciennes. Dans bien des cas, la crainte de ne pouvoir conserver ou protéger ces peintures a conduit à retarder leur mise au jour ; mais l’urgence de certains travaux a parfois contraint à entreprendre des dégagements qui ont permis de découvrir quelques ensembles assez remarquables.
Le plus connu, et sans doute le plus ancien de ces ensembles est celui qui orne le chevet de l’église de Lugaut (commune de Retjons), dans le nord du pays de Marsan. Si ce décor a été sauvé par une notoriété due d’une publication, il n’en a malheureusement pas été de même pour d’autres ensembles tout aussi remarquables et peut-être plus anciens, celui de l’église de Bostens, disparu au cours de la restauration des années 1960-1961, celui de la crypte de Sainte-Quitterie du Mas d’Aire, qui, n’ayant jamais été fixé, est aujourd’hui presque entièrement effacé, celui de Biganon, rendu presque illisible par les infiltrations dans la couverture.

Comme pour l’architecture, la période qui a suivi la guerre de Cent Ans a vu réaliser de très nombreux ensembles dont les plus intéressants aujourd’hui encore visibles sont ceux de Lévignac, Richet et Suzan, que l’on peut dater de la fin du xve ou du début du xvie siècle.
L’intérêt de ces quelques ensembles peints compense un peu l’extrême pauvreté des églises landaises en éléments de mobilier de la période médiévale, qu’il s’agisse d’objets de bois, comme les Pietà de Capbreton ou de Labastide-d’Armagnac, les Vierges de Carcarès-Sainte-Croix, de Labenne, de Buglose et de Saint-Girons, les vantaux de la porte de Lit, datant pour la plupart de l’extrême fin du Moyen Âge, ou d’objets de pierre, comme la Pietà de Lit-et-Mixe, la Vierge de Buglose, et surtout le retable d’Audignon.

Mimizan. Statue du portail
Dax. Cathédrale. Statues d'apôtres du portail gothique
Saint-Sever. Couvent des Jacobins
Uchacq. Église de Parentis
Nerbis. Voûtes du collatéral sud
Retjons. Lugaut. Ange
Ousse-Suzan. Eglise de Suzan. Choeur
Audignon. Retable gothique
Audignon. Retable gothique. Détail avant restauration

4. Les temps modernes. XVIe-XVIIIe siècles

« Rebâtir la maison du Seigneur »

Saint-Gein. Retable

Au lendemain des ravages infligés au cours des Guerres de Religion, en particulier dans le Tursan, la Chalosse, le Marsan et le Gabardan, Le Procès-verbal envoyé au roi Charles ix en 1572 avait dressé, de l’état des églises de ces régions, un tableau accablant. Comme cet état s’était souvent encore aggravé par la suite en raison du défaut d’entretien entraîné par l’appauvrissement des institutions et des paroisses, au début du xviie siècle, un grand nombre d’églises nécessitaient une restauration profonde. On couvre alors les vaisseaux de voûtes en briques ou de plafonds en anse de panier, et de larges baies sont ouvertes dans les nefs qu’elles inondent de lumière, ou dans la travée droite du chœur, pour éclairer le retable de l’autel. Dès cette époque ou par la suite, on profitera de ces réfections nécessaires pour compléter ou embellir l’édifice. On va ainsi doter l’entrée de l’église de Brocas à Montaut d’un énorme portail conçu comme un arc de triomphe antique, et le porche de Sarbazan d’une façade conçue selon un ordre colossal, partagé sur un rythme tripartite.

Abbayes et couvents, durement frappés par les Réformés, relèvent leurs ruines et se transforment en édifiant de nouveaux bâtiments, comme à Saint-Sever pour les Bénédictins et les Jacobins, à Mont-de-Marsan pour les Clarisses, à Dax pour les divers couvents anciens ; dans le même temps, Ursulines, Barnabites et Capucins fondent de nouveaux établissements dans les principales villes. C’est cependant la cathédrale élevée à Dax de la fin du XVIIe siècle aux premières années du XVIIIe pour remplacer la grande église gothique effondrée en 1646, qui constitue sans aucun doute l’exemple le plus significatif des constructions de cette époque.

«Les églises… les mieux ornées du Royaume»

Le géographe Masse, lorsqu’il entreprend, à partir de 1712, le relevé des côtes de l’Océan au sud de Bordeaux, est frappé par la richesse du décor des églises de cette région, qui «sont des mieux ornées du royaume, tant par les autels dorés que par les autres ornements». En effet, de la seconde moitié du XVIIe siècle à la Révolution, la plupart des églises landaises ont été dotées d’un décor aussi riche que varié. L’ampleur du phénomène s’explique par un faisceau de circonstances particulières : une amélioration des conditions économiques, la disparition de la quasi totalité des éléments de décor antérieurs à la Réforme, l’effort de la Contre-Réforme, mais aussi l’action de quelques grands évêques : Gilles Boutault, Bernard de Sariac, Jean-Louis de Fromentières et plus tard François Sarret de Gaujac à Aire, Jacques Desclaux, Bernard d’Abbadie d’Arboucave et surtout Louis-Marie Suarez d’Aulan à Dax.

Une telle entreprise a bien évidemment mobilisé un nombre considérable d’artistes, essentiellement des sculpteurs et des peintres, pour la plupart inconnus, mais dont quelques textes du XVIIe siècle nous livrent parfois les noms et nous permettent de suivre les nombreux déplacements dans tout le Sud-Ouest. Vers la fin du siècle, la demande devient même tellement importante que peuvent se constituer de véritables ateliers stables, et bientôt de véritables dynasties d’artistes.

Qu’ils soient indépendants ou rattachés à un véritable atelier, qu’ils soient sculpteurs, peintres, doreurs, et bientôt marbriers, tous ces artisans vont exercer leur talent sur un nombre très limité d’éléments. En effet, cette vaste entreprise n’avait pas seulement ni même surtout un but esthétique. Elle était avant tout destinée à favoriser un autre aspect de la reconstruction, celle de la foi et du culte catholiques. Conformément à l’esprit et aux objectifs de la Contre-Réforme, c’est le retable qui constitue alors l’élément central du décor : d’abord relativement simple, il va prendre vers la fin du XVIIe siècle la forme d’une composition tripartite, scandée par des colonnes.

Ainsi conçu comme un véritable ouvrage d’architecture, le retable permet à la fois de diriger toute l’attention sur l’autel où se célèbre le culte eucharistique, et d’affirmer l’importance de quelques personnages centraux de la dévotion catholique de l’époque. Au centre, un tableau, plus rarement une statue ou un relief, représentent généralement la Crucifixion, dans laquelle le Christ en croix est encadré par la Vierge et saint Jean, ce dernier parfois remplacé par le saint patron de l’église ; le tableau peut aussi figurer l’Assomption de la Vierge, ou la glorification d’un saint. Au-dessus de cette scène centrale, sont représentées la Trinité, et parfois de nouveau la Vierge, rejetée par la Réforme protestante, mais qui conservait une immense importance dans la piété catholique.

Les ailes sont occupées par de grandes statues de saints – Jean-Baptiste, le saint patron, et surtout Pierre et Paul, colonnes de cette Église de Rome elle aussi gravement remise en question par la Réforme.

Placé en avant du retable, le tabernacle constitue un élément également essentiel, en raison du développement de la théologie et du culte de la présence réelle, elle aussi contestée par les protestants. Ce tabernacle va souvent s’enrichir d’une porte et de côtés ornés, d’un baldaquin destiné à l’Exposition du Saint Sacrement, pour finir par former un véritable retable en miniature par l’adjonction d’ailes sur lesquelles prendront place des bas-reliefs représentant des scènes très diverses.

En comparaison de ces deux éléments essentiels, l’autel proprement dit apparaît longtemps relativement banal : formé d’une cuve galbée peu ornée, ou simple cadre sculpté renfermant un tissu ou un cuir repoussé et peint, il a souvent moins bien résisté aux destructions.

Il faudra attendre la seconde moitié du XVIIIe siècle pour voir apparaître un ensemble très original d’autels, les somptueuses compositions de marbres de couleur, surmontées de grandes statues de marbre blanc de Carrare, et parfois entourées de vastes architectures de stucs peints, comme à Laurède, au Mas d’Aire, et dans la chapelle de la Vierge de la cathédrale de Dax. Ces œuvres sont toutes dues à une famille de sculpteurs suisses italiens, les Mazzetty, et leur réalisation s’est échelonnée de 1751 à 1785.

Sarbazan. Façade
Audignon. Retable baroque
Laurède. Choeur
Aire-sur-l'Adour. Église du Mas. Sainte Quitterie
Lévignacq. Voûte de la nef

5. Un XIXe siècle sous influence

La redécouverte de l’architecture médiévale

Architecture médiévale

Dans leur admiration pour l’Antiquité, la Renaissance et l’époque classique avaient souvent manifesté beaucoup de mépris pour les temps considérés comme obscurantistes du « moyen âge ». Pourtant, c’est vers ce Moyen Âge qu’après la rupture de la Révolution, le XIXe siècle allait se tourner, aussi bien dans certaines formes littéraires ou musicales, que dans les domaines de l’architecture – en particulier de l’architecture religieuse -, et des éléments qui lui sont associés.

Ce changement radical d’attitude, qui s’inscrit à l’intérieur un mouvement plus général, marqué par un renouveau de la foi et par une reprise de l’influence de l’Église durant ces temps de « restauration », a eu une double conséquence : un effort sans précédent de sauvegarde, de restauration et de remise en valeur des églises anciennes ; la construction d’églises nouvelles très directement inspirées par les modèles prestigieux du passé.

L’organisation d’un Service consacré à la protection du patrimoine

En dépit de cet intérêt nouveau pour édifices anciens, quelques exemples tragiques avaient pourtant montré au début du siècle que des éléments du patrimoine aussi essentiels que les abbayes de Cluny ou de Charroux, étant devenus la propriété de particuliers ou même à de collectivités au titre des Biens nationaux, pouvaient être la proie des démolisseurs et des marchands de matériaux. Pour pallier cette menace, la nécessité s’est fait jour d’instituer un service capable d’assurer la protection et la conservation du patrimoine en vue de sa transmission aux générations futures.

En 1830, est donc créé le premier poste d’Inspecteur des Monuments historiques, occupé tout d’abord par Ludovic Vitet, puis, de 1834 à 1860, par Prosper Mérimée. Le rôle de cet Inspecteur était de procéder au recensement des édifices ayant vocation à entrer dans le patrimoine. Un peu plus tard, l’institution d’une Commission supérieure des Monuments historiques a permis de présenter en 1840 une première liste d’un millier de Monuments classés, dont deux seulement appartenaient aux Landes : l’église Sainte-Quitterie du Mas d’Aire et l’abbatiale de Sorde-l’Abbaye.

Ces premières mesures seront heureusement complétées dans les années 1890 par la constitution du corps des Architectes en chef des Monuments historiques, et en 1913 par un nouveau texte définissant deux niveaux de protection : le classement qui s’applique aux immeubles dont la conservation présente au point de vue de l’histoire ou de l’art un intérêt public ; l’inscription sur un inventaire supplémentaire, pour des immeubles qui, sans justifier un classement, présentent un intérêt suffisant pour en rendre désirable la préservation.

Les restaurations d’églises au XIXe siècle

Tandis que se poursuivait la mise en place du service des Monuments historiques, un débat théorique, déjà amorcé en 1820 par le Conseil des bâtiments civils, se développait au sein de la Commission supérieure et de l’ensemble de l’administration de l’État sur la manière de concevoir et de réaliser les travaux de restauration. Deux chantiers prestigieux – ceux de la basilique de Saint-Denis et de la Sainte-Chapelle de Paris – se trouvaient au centre du débat. Mais c’est surtout Viollet-le-Duc qui allait participer à la mise en place d’une doctrine souvent critiquée, mais qui traversera les décennies…

L’écho de ce débat ne semble être parvenu dans les Landes que sous une forme fort atténuée. Les problèmes sont ici d’une nature toute différente, comme le montre le traitement infligé aux deux seules églises classées de la liste de 1840 : en dépit de cette protection, l’abbatiale de Sorde subira, à l’initiative d’un vicaire, une restauration si abusive qu’elle entraînera un déclassement prononcé en 1879 ; quant à l’église du Mas d’Aire, sa crypte sera adaptée dans les années 1880 aux conceptions personnelles de l’évêque du diocèse, Mgr Delannoy, en matière d’architecture paléochrétienne. De même, le classement en 1862 de Saint-Girons de Hagetmau n’empêchera pas la démolition de l’église supérieure en 1904, et le remplacement, au nom de l’unité de style, des voûtes d’ogives construites au xviie siècle sur la crypte, par de médiocres voûtes d’arêtes.

Dans un contexte très différent, un autre édifice majeur du département, l’abbatiale de Saint-Sever allait connaître un sort analogue : oubliée sur la liste de 1840, elle devait faire l’objet en 1899 d’une proposition de classement, qui fut refusée par la municipalité, à la suite d’une campagne pressante menée par l’archiprêtre Sarrauton, après consultation de l’évêque, Mgr Delannoy. L’archiprêtre souhaitait en effet terminer sans encombre d’importants travaux de grattage des murs, d’application de badigeons avec faux-joints, et bientôt de construction d’un faux triforium qu’il avait entrepris dans la nef. C’est seulement après toutes ces transformations que le classement put intervenir, en 1911.

C’est encore à l’initiative du clergé et des paroisses qu’ont été transformées de nombreuses églises moins prestigieuses du département. Du fait du manque d’entretien et du retard pris dans des réparations nécessaires au cours des décennies précédentes, beaucoup d’édifices s’étaient beaucoup dégradés ; mais beaucoup aussi s’avéraient trop petits pour une population en pleine expansion. De nombreux travaux sont donc entrepris : on restaure des toitures, on refait des plafonds et on les remplace parfois par des voûtes légères en plein cintre ou sur croisées d’ogives, supportées par des colonnes ou des pilastres, on flanque la nef d’un collatéral qui s’ajoute parfois à celui qui avait été construit après la Guerre de Cent Ans, on élève une tour-clocher qui se substitue au clocher-mur antérieur, on agrandit les fenêtres anciennes et on en perce de nouvelles pour apporter plus de lumière dans l’édifice, on ménage de nouvelles portes. Dans toutes ces modifications ou adjonctions, et en particulier pour le décor sculpté, on se réfère bien évidemment aux modèles médiévaux, tels qu’on les comprend ou qu’on les imagine.

Dans les églises ainsi transformées, on renonce au dépouillement qui avait prévalu au siècle précédent pour mieux mettre en valeur le riche mobilier baroque. Les fenêtres anciennes ou nouvelles sont dotées de vitraux, les murs sont recouverts de peintures décoratives et parfois historiées qui changent totalement l’atmosphère de l’édifice.

Les reconstructions d’églises

Ce sont les mêmes principes qui vont présider à la reconstruction de nombreuses églises durant ce même siècle. Dans bien des cas en effet, les dégradations de l’édifice ancien étaient tellement graves qu’on estimait toute restauration impossible, ou du moins inopportune, quand il s’agissait de bâtisses trop archaïques, trop pauvres, ou simplement trop petites pour les besoins de la paroisse. En fait, toutes ces raisons n’étaient souvent que des prétextes pour des responsables paroissiaux qui souhaitaient avant tout disposer d’une église au goût du jour.

Le mouvement qui a malheureusement fait disparaître nombre de témoins vénérables d’un art insuffisamment connu s’était amorcé dès la première moitié du siècle, mais il s’est accéléré sous le Second Empire : 28 constructions nouvelles et nombre d’agrandissements et de restaurations réalisés au cours de cette période allaient donner, tout autant que les édifices d’origine médiévale, cette teinture qui est aujourd’hui celle de nos villes et de nos campagnes.

Tout cela s’est fait dans un contexte économico-social très particulier, qui explique la durée de la plupart des travaux. Ce contexte était caractérisé par l’insuffisance des moyens de financement, et par la mise en place de systèmes de surveillance s’exerçant sur les divers échelons de décision, communal, départemental et national : le Conseil des bâtiments civils, le Comité des Inspecteurs diocésains vont ainsi exercer un contrôle étroit, entraînant souvent des modifications dans le parti ou même dans le programme.

Sur ce point, l’exemple de Peyrehorade, et celui de Tartas sont tout à fait intéressants, car ces édifices ont joué un rôle capital dans la problématique du choix du style : on pouvait en effet se demander si l’on devait continuer, comme au siècle précédent, à construire des édifices dans le goût gréco-romain, ou au contraire dans le nouveau goût qui s’annonçait comme devant être le goût dominant à cette époque, le néogothique.

Cette question sera relayée par un personnage qui a joué un rôle très important dans la propagation du nouveau style, Didron, directeur des Annales archéologiques, qui intervint auprès de l’abbé Barbet, curé de Peyrehorade, en faveur du plan de style ogival, contre Jean-Marie de Silguy, ingénieur des Ponts et Chaussées, et un premier projet d’église dans le goût gréco-romain. Pendant plusieurs années, de nouvelles propositions de plans, sans cesse revues et corrigées, se succèdent, jusqu’à la décision de faire appel à Hippolyte Durand, architecte diocésain de Bayonne, Tarbes et Auch. Avec l’aide d’Hippolyte Guicheney, architecte de Bayonne, Durand élabore plusieurs projets de 1846 à 1851 ; les travaux ne commenceront finalement que vers 1854.

L’église Saint-Jacques de Tartas a été élevée au même moment. Cet édifice, qui a été récemment classé Monument historique, est un exemple parfaitement réussi de cet art total du xixe siècle, et donc d’un véritable élément de référence dans ce département.

La construction avait été préparée par plusieurs projets successifs. L’intervention d’Hippolyte Durand se situe entre 1843 et 1846. La construction commencera seulement en 1849. Le passage du gréco-romain au néogothique entraînera un surcoût important, qui provoquera un arrêt des travaux par manque de moyens. L’œuvre s’achèvera en 1867, par la construction d’un perron monumental devant la façade occidentale.

Ces travaux seront prolongés par la réalisation d’un grand décor peint, dû en particulier au peintre montois Louis-Anselme Longa, par la mise en place de vitraux et par une importante commande de mobilier.

Si les monuments construits par Durand ont été déterminants pour l’introduction du nouveau style dans le département, où ils ont souvent été imités avec plus ou moins de bonheur, on doit à d’autres architectes des édifices assez différents et parfois bien plus originaux : c’est le cas en particulier des églises de Buglose, Maylis et surtout Pontonx.

La diversité de tous ces édifices montre bien que le nouveau style ne saurait être considéré comme un simple pastiche du style gothique, mais qu’il constitue une création typique du XIXe siècle : on y reconnaît le dessein d’un architecte, qui, à partir d’une méditation sur le style gothique, l’a repensé, corrigé, adapté à l’esprit du lieu, en lui donnant tous les éléments de la modernité, pour aboutir à une architecture vraiment caractéristique.

Le triomphe de ce style a été si total qu’il a pu utiliser sans en être sensiblement modifié de nouvelles techniques qui se prêtaient dans d’autres domaines à des recherches toutes différentes. En 1895, c’est encore dans ce style que la compagnie des Forges et Aciéries de la Marine et du Chemin de Fer fait construire une église sur son site de Tarnos en la couvrant d’une charpente métallique qui en constitue en quelque sorte l’épine dorsale. Plus original mais également fidèle à ce style fut le parti adopté en 1867-1868 dans l’église de Gaube par Alexandre Ozanne, architecte départemental : l’ancien vaisseau unique du XIVe siècle a alors été partagé en trois nefs par le moyen de colonnes de fonte à base et chapiteau de pierre, supportant des voûtes d’ogives en brique.

Le renouveau de la peinture murale et du vitrail

Dans les églises rénovées ou nouvellement construites, d’importants programmes peints ont été mis en œuvre par des artistes locaux – Longa surtout -, mais aussi par des ateliers venant de l’extérieur du département – de Bordeaux, et même d’Italie, comme à Laballe (Cne de Parleboscq) et à Labastide-d’Armagnac. Ces programmes étant de nature essentiellement décorative, les thèmes iconographiques y demeuraient relativement rares – Tartas constituant une exception prestigieuse. Ils s’étaient en effet concentrés sur d’autres types d’œuvres, des tableaux et surtout des vitraux.
Après avoir produit au début du xvie siècle un grand artiste, Arnaud de Moles, qui réalisa en particulier de 1506 à 1513 les grandes verrières de la cathédrale Sainte-Marie d’Auch, les Landes avaient subi les destructions radicales des Guerres de Religion qui ne laissèrent subsister aucun vitrail ancien. Les siècles suivants ayant préféré les verres clairs mettant en valeur les ors des retables, il faudra attendre la seconde moitié du xixe siècle pour que se multiplient les vitraux colorés et généralement historiés. L’initiative en vint du clergé, parfois d’architectes comme Ozanne, mais avec la participation active de fidèles soucieux de laisser leur souvenir sur des œuvres prestigieuses. Ainsi, le vitrail, qui n’est pas, comme d’autres éléments de mobilier, un objet de culte ou directement ordonné au culte, est redevenu alors, comme au Moyen Âge, un moyen d’enseignement.

Ces œuvres étaient produites par des ateliers parfois très puissants, parmi lesquels il faut citer pour la région ceux de l’abbé Joseph Goussard et de son frère Bernard à Condom (actifs entre 1853 et 1873), de Joseph Villiet (entre 1852 et 1877) et de Gustave-Pierre Dagrand (1839-1915), actif à Bordeaux à partir de 1864, des Mauméjean à Paris, Madrid, Saint-Sébastien et Pau, de L.-V. Gesta (1828-1894) à Toulouse.

Les thèmes traités sont très divers : grandes figures du Christ (Bon Pasteur, Sacré-Cœur, Sauveur du monde), de la Vierge (Immaculée Conception, etc.), des saints (Joseph, Pierre et Paul), et en particulier du saint patron. Mais on voit aussi des scènes historiées parfois très complexes, comme l’évocation de la découverte de la statue et du culte de la Vierge à Buglose, ou des épisodes de la vie de saint Vincent de Paul dans la chapelle du Berceau, et dans l’église paroissiale de Saint-Vincent-de-Paul.

La Liberté guidant le peuple, Eugène Delacroix
Prosper Mérimée
Basilique de Saint-Denis, France
Sainte-Chapelle de Paris
Uchacq. Voûte du choeur par Longa
Saint-Vincent-de-Paul. Charité de saint Vincent
Dax. Centre Jean-Paul II. Choeur de la chapelle. La Flagellation
Dax. Centre Jean-Paul II. Nef de la chapelle. La Tonsure
Cathédrale Sainte-Marie d'Auch

6. L’œuvre contrastée du XXe siècle

La construction d’églises nouvelles

Saint-Gein. Retable

La fin du Second Empire, et les difficultés entraînées par la Séparation, puis par la Première Guerre mondiale ont interrompu le mouvement de reconstruction qui avait marqué l’époque précédente. On se contentera pendant la première moitié du siècle de restaurations souvent sommaires, et parfois médiocres, en raison de l’emploi de procédés commodes mais mal adaptés aux édifices anciens : couvertures de tuiles mécaniques, application d’enduits de ciment, non seulement sur les murs, mais aussi sur certains éléments sculptés fragiles. Les seules églises refaites au xxe siècle sont celle de Brocas-les-Forges, élevée en 1930 pour remplacer une ancienne église romane dont la voûte s’était effondrée un peu auparavant, et la modeste chapelle d’Audon, succédant à une autre église romane qui menaçait ruine.

Plus fréquente a été la construction d’églises en des lieux qui n’en comportaient pas auparavant. Toutefois, comme les Landes n’ont pas connu au cours du XIXe et du XXe siècle le même développement des villes et surtout des banlieues que dans d’autres régions, ce n’est pas surtout à la périphérie des cités que l’on peut trouver ces églises nouvelles : si l’on excepte quelques constructions sommaires, abris ou salles de réunion aménagées pour le culte, comme la chapelle de Berre à Dax ou celle de la Pince à Saint-Paul-lès-Dax, les seules constructions récemment réalisés dans ces circonstances sont l’église Saint-Vincent-de-Paul et tout récemment l’église du Peyrouat à Mont-de-Marsan, et l’église du Gond à Dax.

La plupart des autres églises nouvelles élevées au cours du XXe siècle l’ont été sur la côte, où le développement considérable du tourisme avait entraîné la création de véritables cités balnéaires, situées sur le territoire de communes dont l’église ancienne était souvent distante de plusieurs kilomètres de la mer. La première église construite pour répondre à ces besoins nouveaux a été celle de Hossegor, élevée dans les années 1940-1950 dans la commune de Soorts. Puis ont suivi les églises de Mimizan-Plage et du Penon dans la commune de Seignosse.

Il faut enfin mentionner une intéressante construction des années 1960 à Buglose, lieu de pèlerinage marial alors très fréquenté : la basilique néogothique du siècle précédent ne suffisant pas à accueillir les pèlerins réunis à certaines occasions, on a alors édifié devant la modeste chapelle marquant le lieu de la découverte de la statue miraculeuse de la Vierge une haute couverture abritant un autel pour des célébrations en plein air.

Des restaurations répondant à des nécessités diverses

Après les restaurations sommaires et souvent médiocres de la première moitié du siècle, les églises ont fait l’objet, pendant la seconde moitié, de travaux beaucoup plus importants, conçus dans des perspectives et sur des motivations très différentes, qui correspondent à deux périodes bien distinctes.

Au cours des années 1960-1970, les restaurations ont été entreprises surtout à l’initiative du clergé et des paroisses : elles étaient inspirées par quelques-unes des idées fondamentales du concile de Vatican II, qui a suscité un renouveau si important dans beaucoup de domaines, mais qui a eu, dans celui de l’art, des conséquences désastreuses : mal compris et brutalement appliqués par des responsables locaux peu avertis, la volonté d’un retour à des origines imaginées comme «primitives», le souhait de rompre avec les fastes et le triomphalisme du passé pour retrouver une «Église servante et pauvre», enfin, un souci d’œcuménisme, et en particulier de rapprochement avec les courants réformés les plus hostiles aux images ont eu pour effets immédiats l’arrêt de la plupart des programmes de décoration des églises, mais aussi la mise à l’écart ou la suppression de nombreux éléments de décor existants, quelle qu’en soit la qualité artistique ou l’intérêt iconographique.

Dans une indifférence assez générale, partagée même par des municipalités à qui la loi de Séparation de 1905 avait pourtant transféré la propriété des églises et de leur mobilier, on a alors recouvert des décors peints de badigeons unis, parfois supprimé des enduits pour mettre à nu des maçonneries hideuses, et démonté, souvent détruit ou vendu des retables, des autels, des chaires, pour atteindre une austérité touchant souvent à l’indigence. Ces divers travaux ont souvent été réalisés sans l’assistance d’aucun spécialiste, et en dehors de tout contrôle de la Commission diocésaine d’art sacré.

La seconde période de grandes restaurations a débuté dans les années 1980 et elle s’est poursuivie jusqu’à nos jours. Les travaux alors entrepris l’ont généralement été à l’initiative des municipalités, soudain conscientes que si l’église était moins utilisée pour le culte, elle restait pourtant généralement l’élément de patrimoine le plus remarquable de la commune. Comme les restaurations de l’époque précédente avaient souvent porté sur le décor, l’aménagement et le mobilier, en négligeant l’édifice lui-même, on a alors rapidement perçu l’urgence d’interventions sur certains éléments gravement défectueux : des toitures non étanches, des maçonneries fissurées, des enduits dégradés, des sculptures gercées.

Sauf exception très rare, les responsables communaux ont également compris les difficultés tout à fait spécifiques que pouvait présenter toute intervention sur des édifices aussi anciens, aussi particuliers, et parfois aussi remarquables, et donc la nécessité de rechercher auprès de spécialistes une compétence qu’eux-mêmes et les artisans auxquels ils recouraient d’ordinaire ne possédaient pas toujours. Ils ont donc souvent fait appel à des architectes et à des artisans spécialisés, et accepté de consacrer aux travaux des sommes parfois considérables.

Le résultat de ce changement d’attitude apparaît aujourd’hui déjà assez remarquable. Si l’on doit encore déplorer quelques restaurations très médiocres, on peut heureusement découvrir bien des églises qui ont retrouvé toute leur qualité et tout leur sens.

Un recours difficile à de véritables créateurs d’art religieux

Si, depuis cent ans, «on avait confié des églises à décorer à Daumier, à Van Gogh, à Gauguin, à Cézanne, à Seurat, à Degas, à Manet, à Rodin ou à Maillol, si on avait ‘parié pour le génie’, imagine-t-on ce que seraient aujourd’hui nos églises françaises ?» Ces paroles du Père M.-A. Couturier prennent une acuité particulière dans les Landes, qui sont demeurées presque entièrement à l’écart du grand mouvement de renouveau artistique chrétien animé surtout au cours des années 1940-1950 par un cercle de religieux et d’artistes formé autour de la revue de L’Art Sacré. Choquée par certaines audaces, la plus grande partie du peuple chrétien comme du clergé est demeurée longtemps fidèle à l’esprit de l’art «saint-sulpice», ou s’est soumise à la pression de commerçants ou laissée séduire par le verbiage de prétendus « artistes autodidactes »…

Parmi les rares œuvres d’artistes contemporains introduites dans les églises nouvelles ou rénovées, on compte surtout des vitraux : ceux de l’église de Pouillon, sur des cartons de Françoise Subes, les verrières de l’église Saint-Vincent-de-Paul, conçus et réalisés par Clercq-Roques, à qui l’on doit de nombreux autres ensembles, et en particulier le mur de lumière et plusieurs sculptures de l’église de Meilhan, les vitraux réalisés par Mauméjean ou Lesquibe pour d’autres églises, des croix de céramique de Gérard et Jany Lebreton pour l’église du Gond à Dax et la chapelle de la Base aérienne d’Istres.

À quelques exceptions près, toutes ces réalisations sont antérieures aux années 1970. Depuis cette date, l’arrêt des programmes de mise à jour de l’après concile et l’orientation plus pragmatique des préoccupations des municipalités à l’égard de leurs églises, le conservatisme de nombreux chrétiens pratiquants ont d’autant plus détourné l’attention des problèmes de décor que l’offre d’œuvres d’un art authentiquement religieux se faisait plus réduite. Le souci exacerbé d’exprimer leur personnalité dans des recherches détachées de toute contingence rend beaucoup d’artistes imperméables à toute notion de programme, mais également de contexte intellectuel ou architectural : le dialogue entre le créateur et le commanditaire est devenu très difficile, sinon impossible. Or, une église est marquée à la fois par une référence spirituelle, par une fonction, par un passé et par une personnalité architecturale propre. L’introduction dans un tel ensemble d’une œuvre nouvelle ne peut pas être une rupture totale, encore moins une provocation ; elle exige, de la part aussi bien du commanditaire que du créateur, une vérité intérieure faite d’un véritable respect, et même d’une réelle humilité.

Église de Mimizan
Photo du Vatican
Pouillon. Vitraux de Françoise
Subes et Létienne. Les Béatitudes
Croix de céramique pour la chapelle d'Istres
Église Saint-Vincent-de-Paul, Mont-de-Marsan

Le Beatus de Saint-Sever

Architecture médiévale

La Bibliothèque nationale de Paris conserve sous la cote Ms. lat. 8878 un précieux manuscrit enluminé que l’on désigne du nom de « Beatus de Saint-Sever ». Il s’agit d’un Commentaire de l’Apocalypse de saint Jean, écrit et illustré au xie siècle dans l’abbaye de Saint-Sever en Gascogne, mais dont le texte a été rédigé en Espagne au viiie siècle, et qui a fait par la suite l’objet de nombreuses copies, dont 26 sont encore conservées ou rappelées par de simples fragments dispersés à travers le monde.

Beatus et les Beatus

Le nom de « Beatus » désigne selon les cas un religieux espagnol du viiie siècle, et les manuscrits du Commentaire de l’Apocalypse dont la rédaction lui est habituellement attribuée.

Beaucoup d’incertitudes demeurent sur le personnage, dont un biographe tardif a situé la mort en 798 : on sait qu’il a vécu dans le monastère asturien de Liébana, dont il semble avoir été l’abbé, mais il est surtout célèbre par le combat qu’il a mené conjointement avec l’évêque d’Osma, Etherius, contre les thèses adoptiannistes d’Elipandus, archevêque de Tolède.

C’est dans cette perspective de défense de l’orthodoxie contre une hérésie très active, que Beatus a rédigé vers 776-786 le Commentaire qui porte aujourd’hui son nom. Il y manifeste une connaissance approfondie de nombreux Pères de l’Église, d’Irénée à Isidore de Séville, mais aussi de nombreux auteurs chrétiens – Cyrille, Origène… – ou païens – Quintilien, Virgile… De telles références ne sauraient surprendre dans le milieu culturel qui était parvenu à survivre dans le Royaume des Asturies, ultime héritier de l’Espagne wisigothique, sous le règne de quelques souverains dont le souvenir est rappelé par des édifices aussi remarquables que le palais de Naranco, ou les églises de Lena, Lillo, Santullano, Valdedios…

Le texte du Commentaire

Beatus a indiqué en préambule de son ouvrage le but recherché en le rédigeant : « Ce qui est exposé dans ce livre ne l’a pas été par moi, mais par les saints Pères de l’église dans les œuvres dont ils ont été les auteurs, Jérôme, Augustin, Ambroise […]. Ce qui n’a pas été compris à la lecture de leurs ouvrages le sera dans celui-ci, parce qu’il a été écrit dans un langage courant, et bien qu’il s’en écarte sur quelques points, il est écrit dans une foi et une dévotion totales. Il est ainsi une clé pour tous ces ouvrages… »

Après une longue préface où sont regroupés des prologues dus à plusieurs auteurs, l’œuvre, qui comporte douze livres, est partagée en 68 sections ou Storiæ d’une douzaine de versets chacune, qui présentent le texte de l’Apocalypse, de 1,1 à 22,21,

dans le texte d’une version latine antérieure à celle dite de la Vulgate, pourtant communément admise à cette époque. Chaque Storia est suivie d’une série de commentaires apportant une interprétation analogique et allégorique de chaque verset, d’après les auteurs cités dans la préface.

Ce Commentaire de l’Apocalypse est suivi dans de nombreux manuscrits par le Commentaire de saint Jérôme sur le Livre de Daniel.

Les manuscrits du Commentaire de Beatus

On possède aujourd’hui 26 copies – dont certaines très partielles – du Commentaire, qui sont conservées dans 8 pays : Espagne principalement, mais aussi Allemagne, États-Unis, France, Grande-Bretagne, Italie, Mexique, Portugal. Ces copies, dont la réalisation s’est échelonnée entre le ixe et le xiiie siècle, présentent des parentés et des différences sur lesquelles Léopold Delisle, Wilhelm Neuss, Henry A. Sanders, Peter Klein se sont appuyés pour établir des filiations et des lignées dans des « arbres généalogiques » souvent assez différents.
Toutes ces copies présentent des illustrations dont l’origine se trouve certainement dans le premier exemplaire dû à Beatus lui-même ou à une de ses premières copies. Parmi ces illustrations originelles, au nombre de 108, 68 s’appuient sur le texte de l’Apocalypse et se répartissent selon les Storiæ, 7 accompagnent les commentaires, 8 évoquent les évangélistes et leur œuvre, 14 présentent la Généalogie du Christ, 11 accompagnent le Commentaire de saint Jérôme sur Daniel. Certaines copies comportent quelques images additionnelles. L’ensemble est intégré au texte de manière assez identique dans les diverses copies : ainsi, une Mappemonde est souvent insérée à la description de la mission des Apôtres dans le Prologue du Livre II.

L’ange remet à Jean le Livre des Révélations (Ap. 1, 1, fol. 26 v°).
Message à l’Église de Sardes (Beatus de Gérone, fol. 89v°).
Apocalypse de Beatus
Saint-Sever de Beatus

Bibliographie

Congrès archéologique de France, xiie session, Bordeaux et Bayonne, 1939, Paris, 1941.

Inventaire général des monuments et des richesses artistiques de la France, Commission régionale d’Aquitaine, Landes, Canton de Peyrehorade, Paris, 1973.

Landes et Chalosses, t. 1, Pau, 1983, en particulier Landes et Chalosses jusqu’à la fin du Moyen Âge : J. Gardelles, ch. VII, Architecture et art monumental au Moyen Âge ; Landes et Chalosses sous l’Ancien Régime : F. Legrand, ch. V, L’art sous l’Ancien Régime.

Saint-Sever, millénaire de l’abbaye, colloque international, Saint-Sever, 25-27 mai 1985, C.E.H.A.G., Mont-de-Marsan, 1986.

Cabanot (J.), Gascogne romane, Saint-Léger-Vauban, 1978.

Gibert (P.), Dubédat (P.), Le couvent des Prêcheurs de Saint-Sever au Moyen Age, Bulletin de la Société de Borda, t. 105, 1980, p. 597-644.

Mesuret (R.), Les peintures murales du Sud-Ouest de la France du xie au xvie siècle, Languedoc, Catalogue septentrionale, Guienne, Gascogne, Comté de Foix, Paris, 1967.