Historique
La crypte de Saint-Girons est le dernier vestige d’une abbaye qui fut longtemps prospère. Placée à l’origine sous la règle bénédictine, cette abbaye a gardé son indépendance jusqu’à son passage sous la règle des chanoines vers 1330. Elle disposait alors d’une relative aisance, qui allait durer jusqu’à son attaque par une bande de soldats huguenots de Montgomery en 1569 : six chanoines furent alors tués, plusieurs autres emmenés prisonniers, l’église et les bâtiments communs incendiés, leur mobilier détruit, les maisons des chanoines démolies.
Désormais, et en dépit de la nomination d’abbés appartenant plusieurs grandes familles de la région, et d’une réorganisation opérée vers 1650, la situation n’allait pas cesser de se dégrader jusqu’à la suppression de l’abbaye en 1791.
Après la Révolution, les bâtiments monastiques ont été occupés successivement par diverses communautés. On pouvait encore voir, à la fin du XIXe siècle, contre le mur sud de la nef de l’église, les restes d’une galerie du cloître et les ruines de la salle capitulaire voûtée transformée en une chapelle Sainte-Anne.
Quant à l’église, sa position en dehors de l’agglomération avait entraîné son abandon presque total : la municipalité décida donc de construire une nouvelle église mieux située et de ne conserver de l’ancienne que la crypte, qui avait été classée parmi les Monuments Historiques en 1862.
Le 8 août 1904, la démolition de l’église supérieure était terminée. De 1905 à 1908, on entreprit, sous la direction de l’architecte en chef Rapine, de restaurer la crypte et de rétablir à grands frais son unité de style, en particulier par la construction de voûtes d’arêtes pour remplacer les voûtes d’ogives conservées sur la travée droite. Enfin, on suréleva les murs pour ménager une salle haute et on construisit une façade pour clore l’ensemble.
Au cours de ces travaux, beaucoup de matériaux et en particulier de sculptures furent dispersés.
Architecture
Au XIXe siècle, l’église Saint-Girons comportait encore un chevet à deux étages encadré par deux absidioles dont une, au nord, était empâtée dans une sacristie, un transept, une nef centrale flanquée au nord d’un collatéral et terminée à l’ouest par un clocher massif sous lequel était ouverte une porte d’époque gothique.
Du transept, on accédait au sanctuaire surmontant la crypte par un escalier monumental de 20 marches, encadré par des tribunes où étaient placées les stalles du clergé. Les absidioles étaient toutes deux précédées d’une courte travée droite un peu plus large, et celle du côté sud comportait des éléments d’époque gothique, mais également à l’extérieur des modillons et des restes de la corniche romane.
Le transept conservait les voûtes romanes de ses deux bras et l’arc d’entrée du bras nord avec les deux chapiteaux qui le portaient, tandis que l’arc du bras sud avait été refait en tiers-point. La nef principale, qui n’avait sans doute jamais été voûtée, avait davantage souffert et elle ne présentait plus que quelques fenêtres romanes pour la plupart murées et des baies plus récentes.
Les éléments conservés du chevet
Les éléments subsistant aujourd’hui de l’ancienne église Saint-Girons forment un bâtiment d’environ 20m de longueur et 12m de largeur à l’extérieur, que recouvre une toiture unique. À l’entrée de ce bâtiment, une porte fermée par une grille donne accès à une petite salle rectangulaire, de laquelle on descend dans la crypte par deux escaliers disposés aux angles. La crypte, en forme de rectangle prolongé par un polygone à trois pans, est couverte de voûtes d’arêtes reposant au centre sur quatre colonnes isolées. De part et d’autre de la première salle, les escaliers ménagés dans les murs permettent de monter dans une pièce de même plan que la crypte.
Le décor sculpté
Dans son état actuel, la crypte offre encore quatorze chapiteaux, dont huit surmontent des colonnes plus ou moins profondément engagées, deux des colonnes appliquées, quatre des colonnes isolées. En dépit des faibles dimensions de l’ensemble, ces œuvres présentent une diversité assez remarquable, non seulement dans les thèmes, mais aussi dans le style.
Les chapiteaux d’inspiration corinthienne
Des six chapiteaux qui sont inspirés du type corinthien, trois sont dépourvus de tout décor de détail, sans que l’on puisse toutefois interpréter ce dépouillement comme une preuve d’indigence ou de maladresse, ou comme une simple volonté d’austérité : leurs feuilles présentent en effet une grande diversité de disposition et surtout de forme et de dimensions, ainsi qu’un équilibre des proportions et une valeur monumentale remarquables, des qualités dans lesquelles on reconnaît sans peine l’influence des recherches menées dès les années 1080-1090 sur le chantier tout proche de Saint-Sever.
Tout différents sont trois autres chapiteaux dont les feuilles ont reçu un décor fait de longues folioles disposées en une ou deux rangées de chaque côté d’une nervure médiane.
Les chapiteaux à décor figuré : oiseaux et « lions souriants »
Des oiseaux et des lions ont été représentés sur plusieurs chapiteaux de Saint-Girons, soit qu’ils en constituent le seul décor, soit qu’ils s’y trouvent intégrés à un thème historié plus ou moins complexe.
Comme à Saint-Sever, des oiseaux affrontés deux à deux sous les angles se rattachent à un type qui se retrouve à la fin du XIe et au début du XIIe siècle de Toulouse à Compostelle, sous des variantes quelque peu différentes dont une associe des éléments réalistes —pennes longues de l’aile, plumes en écailles sur le cou et forme des serres —à d’autres éléments plus conventionnels – forme de la tête, de l’œil et surtout de la queue, qui semble se prolonger à l’intérieur du bloc pour évoquer celle d’un dragon démoniaque. Les serres se rejoignent sur la tête d’un damné.
Comme à Saint-Sever encore, on retrouve à Hagetmau des lions passants, disposés en file sur les trois faces des chapiteaux, et présentant une crinière évoquée par des bouclettes ou des mèches, et surtout une gueule largement fendue qui leur a valu le nom de « lions souriants ».
Les chapiteaux historiés
Quatre chapiteaux sont historiés, et deux d’entre eux présentent, comme les quatre précédents, des lions ou des oiseaux pour la plupart intégrés à une scène de damnation, dont ils évoquent les supplices : on voit ainsi des personnages s’efforçant de résister à des oiseaux monstrueux, et d’autres qu’un démon livre à des lions voraces.
Les divers éléments composant ces deux œuvres ne sont pas tous traités avec une égale sûreté : si les oiseaux sont très bien dessinés, les lions sont plus maladroits et les personnages, pour la plupart mal proportionnés, ont tous le même visage étroit, des oreilles démesurées, la même expression figée, les mêmes yeux hagards.
Avec les deux derniers chapiteaux, la signification symbolique de l’œuvre se fait plus explicite : sur une face, on voit le mauvais riche de la parabole assis à table avec deux compagnons ; à leurs pieds, le pauvre Lazare, nu, est allongé ; des chiens lèchent ses ulcères. Sur la face voisine, la situation des personnages s’est inversée : Lazare se tient debout entre deux anges ; au-dessous, le riche est couché et, dans un geste suppliant, il montre sa langue desséchée par la soif.
Cette double scène, qui évoque le péché d’avarice et son châtiment, est accompagnée d’une troisième, qui stigmatise un autre des péchés capitaux, la gourmandise :
sur les deux dernières faces, Daniel, relevant le défi du roi de Babylone, lance des boules de crin et de poix à un dragon qui les dévore en se tordant déjà dans les souffrances de l’agonie (Dn 14, 23-27).
Luc, 16, 19-31 : « Il y avait un homme riche qui se revêtait de pourpre et de lin fin et faisait chaque jour brillante chère. Un pauvre, nommé Lazare, gisait près de son portail, tout couvert d’ulcères. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche, mais les chiens eux-mêmes venaient lécher ses ulcères. Or il advint que le pauvre mourut et fut emporté par les anges dans le sein d’Abraham.
Le riche aussi mourut, et on l’ensevelit. Dans l’Hadès, en proie à des tortures, il lève les yeux et voit de loin Abraham, et Lazare en son sein. Alors il s’écria : “Père Abraham, aie pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l’eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je suis tourmenté dans cette flamme.” Mais Abraham dit : “Mon enfant, souviens-toi que tu as reçu tes biens pendant ta vie, et Lazare pareillement ses maux; maintenant ici il est consolé, et toi, tu es tourmenté. Ce n’est pas tout : entre nous et vous un grand abîme a été fixé, afin que ceux qui voudraient passer d’ici chez vous ne le puissent pas, et qu’on ne traverse pas non plus de là-bas chez nous.”
Il dit alors : “Je te prie donc, père, d’envoyer Lazare dans la maison de mon père, car j’ai cinq frères ; qu’il leur porte son témoignage, de peur qu’ils ne viennent, eux aussi, dans ce lieu de la torture.” Et Abraham de dire : “Ils ont Moïse et les Prophètes ; qu’ils les écoutent.” “Non, père Abraham, dit-il, mais si quelqu’un de chez les morts va les trouver, ils se repentiront.” Mais il lui dit : “Du moment qu’ils n’écoutent pas Moïse et les Prophètes, même si quelqu’un ressuscite d’entre les morts, ils ne seront pas convaincus.”»
Le dernier chapiteau figure une scène des Actes des Apôtres évoquée par une inscription gravée sur des arcades : FEREA QVID – CVSTODES – / MIRVM SIC CEDVNT / HOSTIA PETRO – SOLVE / RE ANGELVS PETRVM : « Quoi d’étonnant? les portes de fer cèdent devant Pierre. Les gardes. L’ange délivre Pierre ». Il s’agit en effet de la libération de Pierre par un ange qui tranche ses liens d’un coup de lance, tandis que deux soldats continuent à monter la garde devant la prison. Une colombe tenant un fleuron dans son bec évoque au-dessus de la scène la présence divine. On peut penser que le choix d’un tel thème destiné à exalter la personne de Pierre n’est pas sans relation avec le développement de l’autorité pontificale au XIe et au début du XIIe siècle.
Ac 12, 5-11 : « Tandis que Pierre était gardé en prison, la prière de l’Église s’élevait pour lui vers Dieu ardemment. Or, la nuit même avant le jour où Hérode devait le faire comparaître, Pierre était endormi entre deux soldats ; deux chaînes le liaient et, devant la porte, des sentinelles gardaient la prison. Soudain, l’ange du Seigneur survint, et le cachot fut inondé de lumière. L’ange frappa Pierre au côté et le fit lever : “Debout! Vite!” dit-il. Et les chaînes lui tombèrent des mains. L’ange lui dit alors : “Mets ta ceinture et chausse tes sandales”, ce qu’il fit. Il lui dit encore : “Jette ton manteau sur tes épaules et suis-moi.”
Pierre sortit, et il le suivait ; il ne se rendait pas compte que ce qui se faisait fût vrai, mais il se figurait avoir une vision. Ils franchirent ainsi un premier poste de garde, puis un second, et parvinrent à la porte de fer qui donne sur la ville. D’elle-même, elle s’ouvrit devant eux. Ils sortirent, allèrent jusqu’au bout d’une rue, puis brusquement l’ange le quitta. Alors Pierre, revenant à lui, dit : “Maintenant je sais réellement que le Seigneur a envoyé son Ange et m’a arraché aux mains d’Hérode et à tout ce qu’attendait le peuple des Juifs.” »